Dr. Nestorine Sangare, ancienne ministre, Directrice Exécutive du Centre de Recherche et d'Intervention en Genre et Développement (CRIGED)

Intellectuelle chevronnée et engagée, Dr. Nestorine Sangaré est dans le cercle des leaders d’opinions influents au Burkina. Elle a toujours apporté sa part de réflexion sur les questions d’intérêts nationales. Avec l’épidémie de coronavirus qui sévit au Burkina, elle partage à travers cette tribune des propositions pouvant aider à l’élaboration d’un plan national de riposte contre l’épidémie. Lisez plutôt !

Propositions pour un plan d’urgence de riposte contre l’épidémie de coronavirus: Les propositions qui suivent sont un ensemble d’idées de synthèse à prendre en compte pour l’élaboration d’un plan national de riposte à l’épidémie. Merci à tous ceux qui ont donné des idées pertinentes et riches pour un éventuel confinement de la population de Ouaga en cas d’aggravation de l’épidémie dans notre pays. Ces solutions pourront couvrir aussi d’autres localités du pays, mais l’urgence est de contenir la maladie à Ouaga et éviter l’expansion dans les régions et provinces. Je propose un inventaire des différents axes ou des quatorze (14) dimensions utiles à prendre en compte qui sont les suivantes:
1) Dimension coordination politique: L’État burkinabé doit assumer pleinement son leadership dans la gestion de cette crise nationale multidimensionnelle. Il peut être assisté par des partenaires ayant une expertise dans ce domaine comme le PAM, HCR et OMS pour pouvoir prendre les bonnes décisions au bon moment. L’État burkinabé doit prendre toutes les mesures préventives requises pour stopper la propagation de la maladie et contrôler leur application stricte par la population en impliquant les forces armées nationales dans toutes leurs composantes. Il doit aussi offrir les soins aux malades sans distinction de catégorie sociale. La qualité de la coordination politique et gouvernementale est déterminante pour l’éradication du coronavirus au Faso. Cela commence par la communication.
2) Dimension sécuritaire et de défense nationale: Le Burkina Faso est déjà dans une crise sécuritaire sans précédent. Tout en continuant à défendre l’intégrité territoriale face aux attaques terroristes, les forces de défense et de sécurité sont nécessaires pour aider à gérer cette nouvelle crise sanitaire. Son rôle essentiel est d’organiser et de conduire les opérations de soin en faisant appel aux médecins militaires spécialistes des catastrophes et tous ceux qui ont fait des missions d’assistance à d’autres pays en crise humanitaire majeure (Darfour, RDC, Mali, etc.) sous l’égide de l’ONU. La gestion des frontières et des transports et la contrainte aux populations pour respecter les mesures de confinement ne peuvent être assurées que par les FAN;
3) Dimension économique: Mobilisation des ressources financières requises au niveau de l’Etat et des partenaires nationaux et étrangers pour faire face aux dépenses urgentes requises. Faire un inventaire des dépenses nécessaires dans tous les domaines. L’activité économique sera à l’arrêt dans les yards et marchés seront fermés aussi longtemps que nécessaire pour permettre de contenir la contagion. Un apport financier de l’État est nécessaire après la crise sanitaire pour relancer l’économie nationale dans les secteurs les plus touchés;
4) Dimension communication: En plus de la communication gouvernementale, il y a lieu de mettre en place une unité de communication professionnelle et technique par des acteurs de la santé pour bien sensibiliser et informer au jour le jour les populations sur les mesures prises par l’État, ses partenaires et les communautés dans tous les domaines pour lutter contre l’épidémie. Tous les organes de presses et les canaux de communication doivent être mis à contribution pour transmettre une information adéquate à toutes les composantes de la population sur l’ensemble du territoire national. Les compagnies de téléphones mobiles doivent jouer un rôle citoyen en permettant l’envoi de messages SMS par le biais du réseau national pour informer les populations selon les besoins et urgence. L’accès à des services téléphoniques de qualité est donc un impératif. La communication sur les réseaux sociaux doit être assainie pour permettre de transmettre des informations crédibles et utiles;
5) Dimension sanitaire: Mobiliser les agents de santé spécifiques dédiés à la lutte contre l’épidémie et les doter de tous les moyens requis d’autoprotection et d’intervention. Séparer une équipe préventive qui fait les tests dans la population pour identifier rapidement les personnes exposées aux malades et susceptibles de contagion. L’État doit former plusieurs personnes capables de faire le test et mettre à leur disposition les réactifs et les équipements mobiles pour aller dépister les cas. Renforcer l’équipe de soin en formant plus de personnel soignant pour le traitement des malades. Mettre en place les infrastructures d’accueil des malades avec complications respiratoires (en augmentant le nombre de lits et tous les produits nécessaires au traitement). Maintenir fonctionnels les services de santé dans toutes les régions du pays pour continuer de dispenser les soins de santé aux populations. Puisque l’État ne peut pas doter tous les habitants de masques médicaux (à usage unique et durée limitée), il faut déjà penser à une solution locale de couture de masques de qualité. Les masques utilisés actuellement sur le marché servent normalement à se protéger contre la poussière et non les virus. Beaucoup de citoyens les achètent en pensant ainsi se protéger contre le virus.
6) Dimension sociale: Il va falloir réaliser un ciblage rapide de la population urbaine par secteur et par niveau de revenu afin d’identifier les familles démunies nécessitant une prise en charge alimentaire pendant la durée d’un éventuel confinement. Ce ciblage vise à éviter que des personnes aisées veuillent profiter de la situation pour recevoir des aides alors qu’elles ne sont pas nécessiteuses. Organiser par sections et responsabiliser des leaders pour faciliter les opérations d’assistance et la remontée des informations de la base. Veiller à inventorier aussi les personnes sans domiciles fixe et les personnes déplacées hors sites d’accueil qui sont dans la ville de Ouaga et vivent de mendicité. Les données du dernier recensement peuvent être utiles pour faciliter ce ciblage.
7) Dimension alimentaire: Constituer en urgence des stocks alimentaires pouvant couvrir les besoins en mettant à contribution les commerçants grossistes et le PAM pour pouvoir acquérir en urgence les vivres nécessaires pour nourrir les catégories de familles et personnes démunies dans la population pendant la durée du confinement. Le transport, le stockage et la distribution des vivres et aides alimentaires diverses doivent tenir compte du ciblage des quartiers démunis. Une gestion rigoureuse des stocks s’impose pour tenir compte aussi des besoins alimentaires pour le reste de l’année. Un inventaire et contrôle strict des prix est nécessaire par le ministère du commerce pour éviter l’inflation. Les boutiques de l’État doivent être approvisionnées pour aider à contenir l’inflation.
8) Dimension accès à l’eau potable: En cette période de canicule, l’accès à l’eau est une question cruciale pour lutter contre la maladie. En plus de l’eau de boisson, l’hygiène individuelle et domestique et des structures de santé va demander beaucoup d’eau. Le rationnement et la gratuité dans les quartiers démunis est une nécessité. Des citernes de distribution doivent être positionnées dans les quartiers en manque d’eau. Les malades aussi doivent beaucoup boire pour s’hydrater. L’ONEA doit proposer des services adaptés à la situation.
9) Dimension logistique: Au niveau logistique, il y a un besoin urgent d’infrastructures de santé sous forme de bâtiments et tentes pour pouvoir accueillir les malades. Les véhicules de l’état doivent être réquisitionnés dans les ministères pour le transport des équipes médicales et des personnes en charge de la coordination des interventions. Les camions à grand tonnage seront nécessaires pour le transport des vivres, de l’eau, des équipements de santé, des dépouilles, etc. Les transports interurbains doivent servir exclusivement pour l’acheminement des vivres et des équipes de travail et pas pour le déplacement de voyageurs.
10) Dimension humanitaire: Le Burkina Faso est déjà en situation de crise humanitaire grave avec près d’un million de déplacées internes. Tout doit être mis en œuvre pour préserver ses sites de personnes vulnérables de toute contagion du coronavirus. Ce sont les personnes externes aux sites qui peuvent y introduire le virus. Les entrées et les sorties de ces sites doivent être contrôlé strictement. Les humanitaires qui y travaillent doivent se protéger au maximum. Ils doivent être dotés des technologies les plus adaptées pour détecter les malades et les empêcher de rentrer sur les sites. L’armée nationale doit être déployée spécialement en renfort des unités qui y sont déjà pour s’occuper de la lutte contre l’épidémie de sorte que les humanitaire puissent continuer à faire le travail ordinaire de distribution des vivres et de soins aux malades d’autres pathologies.
11) Dimension Hygiène et assainissement: Un changement forcé des comportements et de mentalités est nécessaire pour appliquer les mesures préventives édictées: lavage régulier des mains au savon, lavage des vêtements en contact avec le virus, hygiène des aliments, désinfection des espaces publics, nettoyage des habitations et collecte des ordures à des endroits indiqués pour un ramassage par les services municipaux. Si jamais beaucoup de malades meurent, la question de l’enterrement posera un grand problème car les morgues ne peuvent pas accueillir plusieurs dépouilles. Or avec la chaleur, le risque de décomposition rapide des corps est un problème à anticiper. La mise à disposition de ces corps aux familles sera problématique à cause des risques d’infection. Les rituelles mortuaires vont devoir être repensées pour s’adapter à cette situation et permettre un enterrement digne des défunts.
12) Dimension énergétique: Avec la canicule de mars et avril, cette période est la plus difficile en terme de couverture des besoins en énergie électrique. Avec un confinement des populations de Ouaga pendant cette période, la demande va dépasser largement les capacités de la SONABEL. Il va falloir négocier en urgence un apport supplémentaire à la Côte-d’Ivoire et au Ghana au titre de l’Interconnexion, ou bien construire de mini centrales Solaires comme le font les entreprises minières pour alimenter les centres de santé où les malades sous assistance respiratoire seront internés afin d’éviter les moments de délestage.
13) Dimension solidarité nationale: L’État burkinabé seul ne pourra pas gérer cette situation et a montré ses insuffisances. Il faut que les communautés s’organisent pour une solidarité nationale inédite. L’entraide au niveau alimentaire et dans l’accès à l’eau sont des solutions de proximité à encourager. Les commerçants qui disposent de vivres et denrées alimentaires consommables peuvent contribuer à la constitution des stocks au niveau de l’État ou s’occuper des membres de leurs familles, de leurs voisins, des communautés religieuses ou des secteurs et arrondissements dans lesquels ils vivent.
14) Dimension psychologique et spirituelle: Cette épreuve ne sera pas sans impact psychologique et spirituel. Le monde entier tente de comprendre pourquoi cette pandémie. Les explications spirituelles sont données. Il va falloir une prise en charge psychologique et spirituelle des malades et des personnes affectées. Les communautés religieuses doivent s’organiser en conséquence pour accompagner leurs membres et ceux qui seront dans le besoin. Au plan psychologique, le Burkina Faso dispose de très peu de professionnels. Le confinement est susceptible de provoquer une violence dans les familles qui ne sont plus habituées à rester à longueur de journée ensemble. Entre les enfants et entre les conjoints, l’irritabilité risque d’augmenter si le confinement dure longtemps. Certains hommes sont habitués à vivre dehors dans les maquis et vont devoir changer d’habitude. Une sensibilisation de la population est nécessaire pour éviter les violences domestiques et homicides. La force psychologique et spirituelle des burkinabè seront déterminante pour faire face à cette crise avec succès.

Dr. Nestorine SANGARE
Directrice Exécutive du Centre de Recherche et
d’Intervention en Genre et Développement (CRIGED)

criged@yahoo.fr

 

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