Le nouveau Premier ministre britannique Boris Johnson

En cas de « no deal », certains pays africains pourraient perdre leurs avantages sur le marché britannique. Alors que grandit le risque d’une sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE) sans accord, les pays africains sont dans le flou. Si le nouveau premier ministre Boris Johnson échoue à s’entendre avec l’UE d’ici au 31 octobre, ces partenaires commerciaux de longue date vont perdre leur accès préférentiel au marché britannique. Ils seront alors obligés de rivaliser avec d’autres pays comme la Chine ou le Brésil, dont les produits coûtent moins cher.

Pour éviter cette situation désavantageuse, les gouvernements africains devront signer avec Londres de nouveaux traités. Aujourd’hui, deux types d’accords régulent les relations entre l’Afrique et l’UE : le Système généralisé de préférences (GSP) et l’Accord de partenariat économique (APE). Le premier s’appuie sur l’initiative Tout sauf les armes dont bénéficient les pays en développement. Grâce à ce programme, ils peuvent exporter leurs produits vers des pays développés sans payer les droits de douane. L’APE est, quant à lui, un traité de libre-échange moins généreux, signé entre l’UE et les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique.

En théorie, un processus visant à répliquer ces accords n’est pas compliqué. « La Grande-Bretagne pourrait simplement les copier, en remplaçant “l’Union européenne” par “la Grande-Bretagne” », explique la chercheuse de l’université de York, Peg Murray-Evans. Même si le pays n’a pas le droit de signer ces traités avant le Brexit, « son gouvernement a déjà annoncé que l’accès préférentiel des pays pauvres au marché britannique sera prolongé », rappelle le chercheur de l’Institut de développement d’outre-mer, Maximiliano Mendez-Parra. Mais « pour l’instant, la façon dont ces traités vont fonctionner n’est pas claire », ajoute Peg Murray-Evans, spécialiste des relations commerciales entre l’Afrique et l’UE.

Le Ghana et le Cameroun seraient les plus touchés

« Ce changement de la politique douanière va plus directement impacter les dix-neuf pays africains du Commonwealth, si les accords ne sont pas signés à l’heure », avertit Dirk Kohnert, spécialiste de l’Afrique à l’Institut allemand des affaires globales et régionales (GIGA). Faute de Brexit ordonné, certains secteurs pourraient souffrir. « En Afrique du Sud, par exemple, les producteurs de composants automobiles pourraient subir des pertes de l’ordre de 50 millions d’euros », estime Maximiliano Mendez-Parra. Compte tenu de la taille de l’économie sud-africaine, la plus importante du continent, ce manque à gagner restera marginal, mais pour d’autres pays, un « no deal » présenterait un risque plus important.

Selon Dirk Kohnert, le Ghana et le Cameroun seraient les plus touchés, avec des pertes respectivement de 91 millions de dollars et de 17 millions. L’agence des Nations unies sur le développement et le commerce, la Cnuced, a fait d’autres prévisions : dans un rapport réalisé en avril, elle distingue, parmi les perdants, le Maroc, la Tunisie et l’Egypte.

Mais, toujours selon cette étude, un Brexit dur pourrait aussi apporter des avantages à certains pays africains. C’est le cas de l’Afrique du Sud, l’ancienne colonie britannique riche en ressources diverses. Historiquement, le pays entretient de bonnes relations commerciales avec la Grande-Bretagne. A titre d’exemple, les exportations d’oranges sud-africaines pourraient bénéficier de la disparition de certaines réglementations. « Aujourd’hui, pour protéger la production en Espagne et en Italie, l’UE interdit d’importer des oranges avec des tâches noires, explique Maximiliano Mendez-Parra. Il est peu probable que la Grande-Bretagne sera intéressée à garder cette règle après le Brexit. »

Un marché à explorer

Reste à savoir si Londres accordera une importance particulière au continent. En 2018, pendant son mandat, l’ancienne première ministre Theresa May a effectué une tournée en Afrique du Sud, au Nigeria et au Kenya, des pays membres du Commonwealth. Les raisons sont évidentes : après avoir quitté l’Union douanière, la Grande-Bretagne devra chercher et soigner d’autres partenaires. L’Afrique, avec sa forte démographie, pourrait représenter un marché à explorer. « De plus, les taux de croissance sont très rapides dans beaucoup de pays du continent », rappelle le chercheur Paul Melly, du groupe de réflexion Chatham House. Autre motif supplémentaire d’intérêt pour le Royaume-Uni : la négociation d’un projet de zone de libre-échange continentale entre les cinquante-quatre Etats membres de l’Union africaine.

Pour autant, le commerce du Royaume-Uni avec l’Afrique reste modeste. Le pays y achète essentiellement du pétrole, des pierres précieuses et des fruits frais. « La France, l’Allemagne et l’Italie exportent plus que le double de biens vers l’Afrique que le Royaume-Uni », souligne Dirk Kohnert. Même l’Espagne, dont l’économie est deux fois plus petite, y exporte plus de produits. Quant aux échanges avec les pays africains du Commonwealth, « ils représentent seulement 9 % du commerce international du Royaume-Uni », affirme Dirk Kohnert.

Au moment du Brexit, « le Royaume-Uni va avant tout s’intéresser aux joueurs globaux comme les Etats-Unis, le Canada, l’Australie et l’Afrique du Sud, estime l’expert. Le reste des pays africains du Commonwealth devra attendre. »

Anahit Miridzhanian

Source : Le monde

 

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