Photo de famille des Chefs d’États présents au Sommet d'Abuja

Les chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest se sont accordés le 29 juin 2019 sur le nom et le symbole de la future monnaie commune. Un nom circule depuis des années, Eco. Une date de naissance : 2020. Les conclusions de la conférence des Chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao), le 29 juin 2019 à Abuja (Nigeria), ont donné un nouvel indice sur la concrétisation de cet ambitieux projet monétaire. Et par conséquent sur la solidité de la volonté politique à y parvenir, bien qu’elle n’ait cessé d’être réaffirmée depuis le sommet de décembre 2017, dont le principal ordre du jour a été la création d’une monnaie unique.

Dans le communiqué final, les pays membres réitéraient « leur ferme volonté à œuvrer à l’atteinte des objectifs des pères fondateurs de la (Cédéao) de doter la région d’une union monétaire en vue d’accélérer la construction d’un espace de prospérité et de solidarité. »

La Cédéao, c’est 15 pays, 335 millions d’habitants, un PIB de 637 milliards de dollars, une superficie de 5,1 millions de km², 3 langues officielles et plus de 1000 langues locales.

Un nom à confirmer et un symbole à trouver 

La détermination de la Cédéao se révèlera à l’aune de l’accueil fait aux dernières propositions des « experts et (des) membres du comité ministériel sur le Programme de la monnaie unique de la Cédéao ». Récemment réunis à Abidjan, la capitale ivoirienne, leur communiqué daté du 20 juin 2019 indique que « s’ils ont trouvé un consensus sur ‘Eco’ comme dénomination de la monnaie unique de la Cédéao, ils se sont toutefois séparés sans parvenir à un accord sur le symbole de ladite monnaie ».

Les chefs d’État qui leur ont confié cette mission seront-ils plus enclins à trouver un terrain d’entente ? Un compromis serait de bon augure. La seule certitude aujourd’hui concerne le processus choisi pour arriver à la monnaie unique : une « approche graduelle privilégiant un démarrage avec les pays qui respectent les critères de convergence, tandis que les autres pourront s’y joindre ultérieurement. »

« Si une monnaie se cache derrière une autre, on ne peut pas apprécier sa valeur réelle »

La convergence économique a été longtemps un frein à la création de la monnaie unique. Notamment parce que la Cédéao est une organisation qui a un profil monétaire particulier. Huit États (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo) constituent déjà l’Union monétaire ouest-africaine (Umoa) qui utilise le franc CFA, autrefois arrimé au franc français et aujourd’hui à l’euro. Les sept autres (le Cap-Vert dont la monnaie a aussi une parité fixe avec l’euro, la Gambie, le Ghana, la Guinée, le Liberia, le Nigeria et la Sierra Leone) ont chacun leur monnaie.

L’un des critères de convergence requis est lié à l’inflation. Les experts soulignent qu’il est complexe de chercher à harmoniser les taux d’inflation des pays de l’Umoa, associés à une économie forte – celle des pays développés de l’Union européenne –, avec ceux des autres membres de la zone Cédéao, des pays en voie de développement, dont les structures économiques diffèrent. Pragmatiques, les États ont fini par jouer la carte de la flexibilité sur cette question afin de se donner une chance d’atteindre leur objectif. « Il reste encore beaucoup à faire pour parvenir à une convergence macroéconomique soutenue », soulignait en 2018 Momodou Saho, directeur général de la l’Agence monétaire de l’Afrique de l’Ouest (Amao).

Mais un autre obstacle, politique cette fois-ci, se dresse. Les sept pays, jaloux de leur souveraineté monétaire, craignent une ingérence française, par le biais des pays de la zone franc CFA. Le Nigeria, le géant sous régional qui a toujours appelé à éviter toute précipitation dans le processus de mise en place de la future monnaie, l’a encore récemment souligné. « Si nous prenons une décision sur notre monnaie, elle doit être prudente, pour ne pas mettre notre économie en difficulté. C’est très important et c’est pourquoi les responsables de notre banque centrale ont été très précautionneux sur la question », confiait Musa Nuhu, le chef de la cellule nationale Cédéao au ministère nigérian des Affaires étrangères dans les colonnes du journal nigérian Vanguard en mai 2019.

En évoquant les pays francophones qui utilisent le CFA, il a déclaré : « Le problème qui se pose, c’est que la Banque centrale du Nigeria leur demande de dissocier le CFA de la Banque de France. La valeur de ce franc CFA est déterminée par la Banque de France, qui conserve leurs réserves et fixe également son taux de change. »

« Pour le naira (la monnaie nigériane), a poursuivi le responsable nigérian, nous ne nous cachons pas derrière les institutions (…) nos réserves sont en dollars américains, en euros et récemment en (yuan) chinois, nous sommes donc seuls. Si une monnaie se cache derrière une autre, on ne peut pas apprécier sa valeur réelle ».

Histoire d’en finir avec le CFA

Alors que le débat autour du CFA fait rage dans les pays concernés, le projet de l’union monétaire de la Cédéao s’apparente à une porte de sortie offerte aux pays de la zone Franc. Néanmoins, souligne l’économiste togolais Kako Nubupko, « la perspective de la monnaie Cédéao ne peut pas empêcher de faire les réformes en zone Franc, parce que l’on ne sait pas quand elle sera effective. Le projet a été déjà reporté quatre fois. Les États seront-ils prêts pour 2020 (date de lancement prévue) ? Les relations avec le Nigeria sont-elles suffisamment claires pour se lancer dans cette monnaie ? (…) Il y a beaucoup de questions auxquelles nous n’avons pas encore de réponses. »

Quels que soient les obstacles, selon un rapport de la BAD publié en 2016, l’achèvement de l’intégration monétaire de l’Afrique de l’Ouest souhaitée depuis les années 80 (le Programme de coopération monétaire de la Cédéao, PCMC) a été adopté en 1987) passe par la création d’une monnaie unique. D’autant qu’elle offrirait « aux pays d’Afrique de l’Ouest une opportunité de résoudre plus efficacement les nombreux problèmes monétaires auxquels ils sont actuellement confrontés » et qu’aucun d’eux ne peut résoudre seul.

Pour de nombreux observateurs, il est peu probable que les citoyens de la zone Cédéao tiennent dans leurs mains la monnaie commune en 2020, puisqu’il n’y a pas encore de banque centrale établie pour l’émettre (mais la possibilité que l’Agence monétaire ouest-africaine en devienne une est sur la table). Dans les prochains mois, l’Eco devrait plus s’apparenter à une unité de compte ou à une monnaie de référence au sein de la Cédéao. Une étape cruciale car les espèces sonnantes et trébuchantes de la monnaie commune ne relèveraient alors plus du virtuel.

Falila Gbadamass

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