Le 16 février 2014, quelques mois seulement après l’insurrection djihadiste au Mali, cinq Etats du Sahel (Mauritanie, Mali, Burkina Faso, Niger, Tchad) ont décidé de créer une force commune pour combattre la violence dans la région, devenue le nid de plusieurs organisations terroristes. Avec un budget d’opérationnalisation estimé à 400 millions d’euros, l’organisation s’est vu confier la tâche de ramener l’ordre dans le chaos sahélien. Six ans après sa création, force est de constater que le G5 Sahel végète toujours, entre promesses de financement non tenues, recrudescence de la violence et paupérisation des populations.

Un bilan sécuritaire calamiteux

Malgré une force de plus de 5000 hommes provenant de ses Etats membres, la force conjointe du G5 Sahel n’a pas réussi à contenir la violence dans le Sahel. Bien que l’appui de la force française Barkhane ait permis d’enregistrer quelques succès, le bilan reste globalement morose dans la région.

Selon les statistiques de l’ONU, le nombre de personnes tuées par les violences terroristes au Burkina Faso, au Mali et au Niger a même été multiplié par cinq en trois ans, passant de 770 morts en 2016 à 4000 en 2019. Rien qu’au Burkina Faso, le nombre de personnes tuées est passé de 80 en 2016 à plus de 1800 en 2019. Cette recrudescence des violences terroristes est, entre autres, due à une multiplication des groupes terroristes qui établissent des bases dans le désert saharien afin de mener des incursions dans les pays du Sahel. Ces dernières années, de nouvelles organisations terroristes telles que l’Etat Islamique au Grand Sahara (EIGS) ont vu le jour. Grâce au trafic d’armes, de drogues ou d’êtres humains, ces groupes étendent de plus en plus leur influence dans la région.

Cette recrudescence des violences terroristes est, entre autres, due à une multiplication des groupes terroristes qui établissent des bases dans le désert saharien afin de mener des incursions dans les pays du Sahel.

De plus, à ces violences terroristes s’ajoutent désormais des conflits intercommunautaires qui compliquent le travail déjà difficile des forces de sécurité sur le terrain.

Le 23 mars 2019, le massacre d’Ogossagou, au Mali, qui avait fait plus de 157 victimes dans un village peuhl, a permis de révéler l’étendue des tensions communautaires dans la région, parfois alimentées par les groupes terroristes. Pour de nombreux observateurs, l’inefficacité de la force conjointe est l’un des facteurs favorisant l’expansion du terrorisme dans la région.

Une crise socio-humanitaire profonde

Sur les plans social et humanitaire, le bilan est loin d’être reluisant. Malgré l’aide apportée par plusieurs organismes internationaux, l’extrême pauvreté reste un mal endémique dans la région. L’ONU estime que plus de 1,2 million de personnes ont dû quitter leur pays dans la région du Sahel. Rien qu’au Burkina Faso, le nombre de personnes déplacées a décuplé entre 2016 et 2019 pour atteindre environ un demi-million, en plus des 25 000 personnes qui ont trouvé refuge dans d’autres pays.

Au fil des ans, ces déplacements forcés ont engendré une véritable crise au niveau de la sécurité alimentaire ou de l’éducation des enfants. D’après l’Unicef, « les femmes et les enfants sont les premières victimes de la violence ». Les conflits dans le Sahel ont un impact dévastateur sur l’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins, avec un risque accru de propagation de maladies infectieuses. D’après les estimations de l’Unicef, plus de 709 000 enfants de moins de 5 ans souffriront de malnutrition aiguë sévère (MAS) au Mali, au Burkina Faso et au Niger, en 2020. D’autre part, plus de 4,8 millions de personnes pourraient être en situation d’insécurité alimentaire.

D’après les estimations de l’Unicef, plus de 709 000 enfants de moins de 5 ans souffriront de malnutrition aiguë sévère (MAS) au Mali, au Burkina Faso et au Niger, en 2020.

Entre avril 2017 et décembre 2019, la recrudescence des attaques contre les établissements scolaires, les enseignants et les élèves ainsi que les fermetures d’écoles ont été multipliées par six dans le Sahel central. On estime que plus de huit millions d’enfants de 6 à 14 ans n’y sont pas scolarisés, soit près de 55 % des enfants de la région s’inscrivant dans cette tranche d’âge.

D’après la Banque mondiale, « la plupart des élèves de sixième année du primaire, en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale, ne possèdent pas les connaissances requises en lecture ou en calcul ». Une situation qui pourrait à terme peser sur « la croissance économique et la réduction de la pauvreté » dans les pays de la région.

Des ressources financières difficiles d’accès

Le premier facteur expliquant l’inefficacité du G5 Sahel est la difficulté d’accès aux ressources financières. En effet, selon les statistiques de la Banque mondiale, les cinq pays du G5 Sahel figurent parmi les plus pauvres au monde. De ce fait, l’organisation se retrouve fortement dépendante de l’aide étrangère pour son opérationnalisation.

Malheureusement, la concrétisation des promesses d’aide faites par la communauté internationale en faveur des pays du G5 Sahel tarde à prendre forme. En 2018, les donateurs étrangers s’étaient engagés à décaisser 400 millions d’euros pour rendre opérationnelle la force conjointe. A ce jour, ce financement n’a toujours pas été bouclé au grand dam des dirigeants du G5 Sahel. « Sur ces 400 millions, rien jusqu’à ce jour n’a été versé », a notamment déploré, fin 2019, le président tchadien Idriss Deby, condamnant un « manque de solidarité » de la communauté internationale.

« Sur ces 400 millions, rien jusqu’à ce jour n’a été versé », a notamment déploré, fin 2019, le président tchadien Idriss Deby, condamnant un « manque de solidarité » de la communauté internationale.

La lenteur des décaissements promis par les pays européens est essentiellement due au fait que leur perception de l’urgence au Sahel n’est pas la même que celle des pays directement touchés. Dans un entretien accordé à l’Agence Ecofin, Smaïl Chergui, Commissaire à la paix et à la sécurité de l’Union africaine (UA), explique : « [ce qui explique cette lenteur, Ndlr] c’est la question de la lisibilité de l’urgence qu’il y a pour faire face aux défis sécuritaires et la nécessité d’opérationnaliser cette force. Je crois que les approches adoptées çà et là pour fournir des équipements ont beaucoup retardé la réponse aux attentes de ces pays ». Pourtant, ajoute-t-il « l

Des projets de développement non concrétisés

Au-delà de l’aspect sécuritaire, cette lenteur des bailleurs de fonds à rendre disponibles les financements promis affecte également la mise en œuvre des projets de développement dans la région.

Fin 2018, le G5 Sahel dévoilait à Nouakchott un programme d’investissement prioritaire (PIP) pour les cinq pays membres de l’organisation. Estimé à 1,9 milliard d’euros, ce PIP regroupe environ 40 projets de développement répartis sur plusieurs axes (la défense et la sécurité ; la gouvernance ; les infrastructures ; la résilience et le développement humain) et est prévu pour s’étaler sur la période 2019-2021. Malheureusement, près de deux ans après la Conférence de coordination des partenaires et bailleurs de fonds pour le financement du PIP, force est de constater que ces investissements semblent être restés à l’état de projets.

Malheureusement, près de deux ans après la Conférence de coordination des partenaires et bailleurs de fonds pour le financement du PIP, force est de constater que ces investissements semblent être restés à l’état de projets.

En effet, seulement 13% du budget prévu pour le PIP a été mobilisé par les pays du Sahel. Alors que leurs partenaires bilatéraux et multilatéraux se sont engagés à fournir plus de deux milliards d’euros à l’organisation, ce financement se fait toujours attendre. Sur le terrain pourtant, les violences continuent de faire des ravages au sein d’une population qui semble livrée à elle-même.

Si pour certains experts, le G5 sahel doit miser en priorité sur les partenaires multilatéraux tels que la Banque mondiale qui se dit prête à investir 7,5 milliards de dollars dans les pays de la région entre 2020 et 2023, pour d’autres il est essentiel de trouver des mécanismes de financement africains aux problèmes africains.

« Les acteurs du développement ont affiché leur volonté de changer les choses. La question est maintenant de savoir comment leur argent, dont une partie a déjà été touchée par le G5 Sahel, se traduit en projets sur le terrain ».

Pour Abdoul Salam Bello, chercheur au Centre africain de l’Atlantic Council à Washington, la difficulté que rencontrent les pays du Sahel dans la concrétisation du PIP est d’abord due au fait que « la mise en œuvre de projets de développement se fait sur un temps long ». Lors d’un entretien accordé au magazine français Le Point, le chercheur souligne : « Au-delà de la question du financement, ce qu’il faut revoir, ce sont les mécanismes de concrétisation des projets sur place. Car même si de nombreuses promesses de dons se font encore attendre, les acteurs du développement ont affiché leur volonté de changer les choses. La question est maintenant de savoir comment leur argent, dont une partie a déjà été touchée par le G5 Sahel, se traduit en projets sur le terrain ».

Quel avenir pour l’organisation ?

Six ans après sa création, une question peut légitimement être posée au vu du piteux bilan de l’organisation : le G5 Sahel était-il la réponse la plus pertinente au problème du terrorisme qui sévit dans la région et plus largement sur le continent africain, voire dans les pays européens ?

Pour les dirigeants africains, la nécessité de la création d’une telle institution n’est absolument pas à remettre en cause, malgré les difficultés qu’elle traverse. Smaïl Chergui explique : « Je crois qu’on ne peut que rendre hommage à un certain nombre de nos États membres qui unissent leurs forces pour répondre de manière ad hoc à un danger qui les guette tous. Je crois que la position de l’Union africaine est très claire, nous avons soutenu […] cette force, comme nous avons par le passé soutenu aussi la force multinationale mixte sur le lac Tchad. Donc ce sont des réactions que je trouve naturelles face à un danger qui nous guette tous. Ce que nous disons c’est que ces forces-là doivent s’inscrire dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine, et rendre compte, de manière régulière, au conseil de paix et de sécurité de leurs activités pour nous permettre de continuer à les soutenir et d’identifier leurs besoins réels. Ce, pour que non seulement l’Afrique, mais également les partenaires et également les Nations unies puissent coordonner le soutien nécessaire à cette force ».

« Ces forces-là doivent s’inscrire dans le cadre de l’architecture africaine de paix et de sécurité de l’Union africaine, et rendre compte, de manière régulière, au conseil de paix et de sécurité de leurs activités. »

Malheureusement, l’argent étant le nerf de la guerre, des inquiétudes subsistent quant à la capacité du G5 Sahel à gagner la sienne face aux groupes terroristes. Les pays du continent en général et ceux du Sahel en particulier peinent eux-mêmes déjà à mobiliser des recettes internes de façon suffisante pour assurer leurs projets de développement. Et dans un contexte de difficulté d’accès aux investissements, alors que l’UA lutte elle-même encore pour assurer son autonomie financière, on se demande si le G5 Sahel pourra dans un futur proche, traduire ses stratégies en actions concrètes sur le terrain.

Pour l’instant, les financements manquent et le terrorisme, lui, n’attend pas. « Comme ces pays mêmes [du G5 Sahel, NDLR], nous voyons que malgré cette volonté, ce soutien qui leur a été promis n’est pas au rendez-vous », déplore Smaïl Chergui. « Donc nous voyons que le terrorisme, loin de se réduire est en train plutôt de s’élargir à d’autres régions comme les frontières avec le Burkina Faso et le Niger, voire plus loin ».

Moutiou Adjibi Nourou / Ecofin

 

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