Dans plusieurs localités du Burkina, les emprises des ouvrages électriques sont occupées par des populations. Malgré les sensibilisations et les appels à libérer ces couloirs pour éviter des accidents parfois mortels, rien n’y fit. Constat dans les villes de Ouagadougou, Koudougou et Bobo-Dioulasso, d’une pratique illégale et dangereuse qui a déjà coûté la vie à au moins sept Burkinabè au cours des six premiers mois de l’année 2022 !
Le chef du département sécurité de la SONABEL, Lompo Dipama : « je demande à ceux qui construisent et encastrent nos supports de l’éviter ».
Le ciel commence à s’assombrir au quartier non loti « Bang pooré » (derrière les rails, en mooré) de Tengandogo, dans la commune rurale de Komsilga. Une « rafale » d’air frais soulève la poussière et fait bruire les feuilles des arbres. Les boutiques, les bars, les kiosques…installés sous les pylônes de la ligne interurbaine Ouagadougou- Koudougou sont en train de fermer. En cette fin de journée, des gouttelettes d’eau finissent par tomber. Après la pluie, les bases des supports verticaux soutenant la ligne Haute tension (HT) sont transformées en espace de jeux des enfants. Sans se soucier de leurs bambins, les génitrices aussi, munies de bidons, barils et autres bassines vont s’approvisionner en eau à la borne-fontaine et vaquent tranquillement à leurs occupations. Entre ignorance et négligence, les briquetiers utilisent les bases des pylônes pour faire des dépôts d’agrégats et autres matériaux de construction. Pourtant, toutes ces personnes courent un grand danger : l’électrocution, voire la mort. Le chef du département sécurité de la Société nationale d’électricité du Burkina Faso (SONABEL), Larba Dipama, explique qu’une rupture de câble a un effet dévastateur. « Compte tenu de la tension du câble, les maisons peuvent être détruites, de même les êtres vivants à proximité peuvent mourir par électrocution », informe-t-il. Pour éviter de telles catastrophes, dit-il, la nationale de l’électricité a dégagé une distance de 25 mètres de part et d’autre des pylônes, pour libérer les couloirs des lignes. Au constat, déplore-t-il, ces périmètres de sécurité sont occupés par diverses constructions précaires et/ou permanentes.

La sourde oreille

Malgré les pancartes, bien visibles, indiquant « danger de mort », apposées sur les pieds des pylônes, les populations font la sourde oreille. Alidou Ouédraogo est père de quatre enfants et résident du quartier « Bang pooré ». Il dit ignorer les risques qu’il encourt. « J’ai construit sur mon terrain de moins de 100 m² en 2020. Je suis conscient d’être installé sous les pylônes. Mais je n’ai jamais pensé que ces installations électriques peuvent me coûter la vie un jour. D’ailleurs, il n’est pas rare de voir les amoureux s’adosser aux pylônes lors de leur rendez-vous », soutient-il. Comme M. Ouédraogo, ils sont nombreux, ces Burkinabè à habiter sous les installations des lignes à HT de la SONABEL, sans tenir compte des distances de sécurité. A Kodeni, secteur 19 de Bobo-Dioulasso, situé sur la Route nationale 7 (RN7), les lignes électriques aériennes HT sillonnent les agglomérations. Les ateliers de mécanique, garages de pièces de rechange, mini stations-service… ouvrent un à un leurs portes, en cette matinée du 21 juin 2022. Après la forte pluie de la veille, les habitants du quartier font des monticules de terre afin d’endiguer les eaux de ruissèlement qui menacent d’inonder leurs habitations.
Sur la RN1, les transformateurs électriques sont encastrés.
Sous les lignes HT, les enfants s’amusent en touchant les poteaux électriques sans se soucier du danger. Pourtant, selon le chef de division sécurité de la direction régionale de l’Ouest de la SONABEL, Ardiouma Traoré, plusieurs dangers les guettent. « Dans l’immédiat, ils peuvent recevoir un choc électrique pouvant aller d’une simple secousse à une électrocution. Pire, ils encourent de graves brûlures et même la mort », prévient-il. Ardiouma Traoré se souvient, avec une douleur toujours vive, qu’en janvier 2022, un jeune de 25 ans, de l’équipe de dépannage de la SONABEL, a été électrocuté. « Cet accident est dû à une mauvaise construction d’un atelier de vente de pneus de véhicules. La distance entre le toit et les câbles électriques HT ne dépassant pas 10 cm, le jeune homme dans sa manœuvre a dû toucher le câble électrique. Malheureusement, il a finalement perdu la vie, malgré des soins intensifs dans un centre de santé », regrette-t-il. Le chef du département sécurité de la SONABEL, Larba Dipama, dénombre, parmi les nombreuses victimes d’accidents liés à l’électricité, sept décès dans plusieurs localités (Ouagadougou, Mogtedo …), rien qu’au cours du premier semestre 2022.

Ignorance ou incivisme ?

A la centrale thermique de Bobo II, jouxtant la RN7, des hangars et des boutiques sont érigés sur les lignes souterraines HT. Cette situation place les occupants de ces commerces et leurs clients dans une insécurité totale. Elle menace également les installations de la SONABEL. Plusieurs fois, poursuit le chef de division sécurité de l’Ouest, la force du vent a fait que des tôles ont été projetées sur les transformateurs. Même si elles sont munies d’un grillage de protection, cela n’empêche pas que des désagréments se produisent, précise M. Traoré. De ses explications, il ressort que l’insouciance et l’ignorance des populations accentuent l’occupation des emprises des lignes HT. En attendant une réaction de la commune, il laisse entendre que des procédures ont été engagées pour un déguerpissement des lieux. Un autre risque menace les installations électriques de la nationale de l’électricité. Il s’agit d’un atelier de soudure de véhicules poids lourds en face de la centrale thermique de Bobo II. Installé sous les lignes, les étincelles de soudure qui s’y dégagent sautent à l’œil. Outre ces pratiques, il y a le vol des fils. En effet, les câblettes de terre servant à écouler le « courant de défaut » en cas d’une masse de l’électricité sont coupées et utilisées dans la fabrication d’objets d’art par les populations.

Eviter le pire…

Sur l’avenue de la République, à la porte d’entrée du quartier Kôko, au grand marché de Bobo-Dioulasso et à la rue Foch (porte d’entrée de Sikassocira), des personnes, installées dans les couloirs de lignes, vaquent tranquillement à leurs occupations quotidiennes. L’installation anarchique des commerçants obstrue les voies et les caniveaux au point qu’il est difficile de se frayer un chemin. Et ce, dans l’indifférence non seulement, des autorités municipales, mais aussi des personnes en charge de la gestion du marché. A qui la faute ? Faut-il laisser les populations s’installer pour les déguerpir par la suite ? A ces interrogations, le directeur des infrastructures urbaines et de la mobilité urbaine de la commune de Bobo-Dioulasso, Yssouf Yao, relativise quelque peu la responsabilité des mairies. Il fait remarquer que certains occupants ne respectent pas les procédures d’occupation du domaine public. L’incivisme, dit-il, a pris de l’ampleur. Par contre, le chef de service entretien et maintenance de la Structure de gestion des équipements et des infrastructures marchands (SGEIM) du marché de Bobo-Dioulasso, Adama Traoré, pointe du doigt la cupidité de certains agents communaux. Le Directeur général de la SGEIM, Amos Lankoandé, quant à lui, indexe la « mauvaise foi » des populations. Car, affirme-t-il, des sensibilisations sont faites au quotidien pour éviter que le pire ne se produise dans leurs hangars. Pour résoudre de façon structurelle le problème, il ambitionne de mettre en place un cadre de concertation lors des journées porte-ouvertes de sa structure. Il souhaite impliquer, pour ce faire, les différents acteurs du commerce, les autorités para-militaires, religieuses et coutumières sur la nécessité de libérer les couloirs électriques.

Des poteaux électriques encastrés

A Koudougou, dans la cité du Cavalier rouge, ce lundi 20 juin 2022, trois clients sont assis à proximité d’un poteau mixte (haute et basse tension) au « High Level » (débit de boissons) pour se désaltérer. Pensant à une enquête visant à fermer son entreprise à notre arrivée, le gérant, Martin Guissou, se défend en disant que ce poteau électrique n’a jamais causé de dégâts depuis l’ouverture du bar, il y a une dizaine d’années. Des allégations jugées fausses, selon l’un des clients, Paul Bazié qui dit prendre toujours le soin de s’éloigner du poteau. Car, dit-il, une personne aurait déjà été victime d’électrocution sur les lieux. Même si le propriétaire du « High level » estime être en règle vis-à-vis des taxes communales, le coordonnateur de l’Association jeunesse africaine pour l’unité d’actions et le développement (AJA-UAD), Abdou Ouédraogo, interpelle, pour sa part, l’autorité communale sur son devoir de protection de la vie des populations, au-delà des questions pécuniaires. « L’occupation des couloirs de lignes est alarmante dans la ville. Plusieurs boutiques sont collées aux poteaux électriques. Qu’est-ce que la commune fait pour endiguer le phénomène ? C’est à la commune de sévir contre les citoyens qui ne respectent pas les textes régissant l’occupation du domaine public », s’offusque-t-il. A Tayiri, secteur 6 de Koudougou, le minimum de deux mètres d’écart requis de part et d’autre de l’emprise au sol des poteaux des lignes HT n’est pas respecté par les propriétaires des maisons. C’est le cas dans la cour de P.Z. Sur les lieux, le poteau électrique est très proche des toilettes externes. Conscient du danger qui plane sur sa famille, P.Z. explique que ce quartier, loti en 2003, est la terre de ses ancêtres. Ces installations électriques qui datent des années 90, renchérit-il, sont venues trouver qu’il y résidait. « Lors des lotissements, la commune n’a pas tenu compte des ouvrages électriques pour distribuer les parcelles. Ce qui veut dire que si le poteau électrique se trouve dans la cour de quelqu’un, il n’y pas de raison qu’il ne soit pas encastré », se défend-il. Ces situations d’insécurité sont fréquentes dans plusieurs autres villes du pays. C’est le cas du bar « Le classico wend ya wendé » en chantier au secteur 25 de Ouagadougou sur l’avenue Bulmiugu (17440). Après l’obtention du renouvellement de son autorisation d’occupation du domaine public pour l’installation d’un kiosque plus un hangar sur une superficie de 108 m², Lassinan Kaboré a décidé d’en faire plus en encastrant le poteau électrique mixte dont les câbles surplombent le toit du hangar. Comme mesure de protection, il a recouvert le support avec du contreplaqué pour, dit-il, éviter que les clients soient électrocutés. Sur la RN1 toujours, des boutiques ou débits de boissons « abritent » des postes de transformateurs et des lignes HT. Il s’agit, entre autres, du « Maquis la bière fraiche », de « Télécom pang ya wendé » et du « Commerce général CELMAR.Com ».

Des difficultés pour l’équipe de dépannage

En ce qui concerne ces installations anarchiques qui ont de plus en plus pignon sur rue dans plusieurs villes, le chef du département sécurité de la SONABEL, Larba Dipama, met en garde que si un câble est défaillant ou rompu, il est difficile pour l’équipe de dépannage de se déplacer facilement pour la maintenance. Ce qui va entrainer un temps de réaction plus long pour le dépannage. Le chef du département sécurité de la SONABEL a annoncé que sa structure compte prendre attache avec les membres de la délégation spéciale de la commune de Ouagadougou, en vue d’intensifier la sensibilisation sur les dangers de l’électricité. Il recommande par ailleurs aux populations de libérer les différents supports qui sont ‘’emprisonnés’’ par les hangars et autres constructions. M. Dipama conseille également d’éviter de toucher les poteaux électriques et les conducteurs (fils), même tombés à terre et de construire sous les lignes électriques. Pour sa part, le chef de service des unités mobiles d’intervention de la police municipale de Ouagadougou, Aimé Bado, suggère une opération de déguerpissement de concert avec les responsables de la SONABEL, pour libérer les emprises des ouvrages électriques. A titre d’exemple, il précise que sa structure a effectué une opération de déguerpissement d’individus qui s’adonnaient à des activités commerciales sous les pylônes de la nationale d’électricité dans l’arrondissement 11 de la capitale burkinabè, le mardi 2 novembre 2021. Par manque de moyens matériels et financiers pour mener à bien cette mission, M. Bado sollicite le soutien des responsables coutumiers et municipaux dans les différents arrondissements pour sensibiliser les occupants aux dangers qu’ils courent. Il insiste également sur la formation des responsables communaux sur les règles d’occupation du domaine public. Certains d’entre eux, soutient-il, délivrent des autorisations à des commerçants sans tenir compte des textes. Le coordonnateur de l’AJA-UAD, Abdou Ouédraogo, invite la SONABEL à mettre en place une cellule de veille et d’alerte pour faciliter les différentes interpellations. Car pour lui, à Koudougou comme dans la plupart des localités, la nationale de l’électricité ne dispose pas de service communication. Aussi, exhorte-t-il à multiplier les émissions radiophoniques et à utiliser plusieurs autres canaux de communication pour ramener les populations à l’ordre.

Oumarou RABO

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