Au Burkina Faso, des espèces comme l’éléphant et l’hippopotame jouissent d’une protection intégrale. Malgré tout, depuis de nombreuses années, les braconniers placent en danger d’extinction ces mammifères ‘’ sacrés ’’ dans la forêt classée de Maro et la réserve de la biosphère de la mare aux hippopotames de Bala, dans la région des Hauts-Bassins.

Cet hippopotame qui a succombé des suites d’une blessure par balle a été retiré de la mare par la population riveraine.

Les traces de passage « d’hommes armés non identifiés » sont encore visibles ce jeudi 12 mai 2022 au poste forestier de Bekuy, situé à environ 70 km de Bobo-Dioulasso. Ainsi, le 21 février 2022, ce poste était sous les feux d’une attaque terroriste. Les traces de balles sur les bâtiments criblés témoignent encore de la violence de l’attaque sur ce site qui revêt une importance stratégique pour « les hommes de la brousse ». La réserve leur sert effectivement de refuge pour préparer et lancer des attaques. Le chef de poste de la réserve de biosphère de la mare aux hippopotames, Nestor Bado, égrène le nombre de fois où les Hommes armés non identifiés (HANI) ont visité cette zone placée sous leur surveillance : avril 2021, novembre 2021, avril 2022 et deux (2) fois en mai 2022. Au-delà de servir de cachette aux groupes armés terroristes, les zones forestières subissent de grandes pertes. Dans les Hauts-Bassins par exemple, l’insécurité grandissante dans les forêts protégées fait le lit des actes de braconnage qui se multiplient de plus en plus, témoigne le directeur de l’Unité de gestion de Bekuy de l’Office national des aires protégées (OFINAP), Souleymane Yaméogo.  « Le braconnage a pris de l’ampleur ces dernières années à cause de l’insécurité grandissante dans les forêts protégées des Hauts-Bassins », confie-t-il. L’air triste, il révèle qu’en 2020, la mort d’un éléphanteau a été constatée, l’année suivante, en 2021, la région a enregistré le braconnage de quatre éléphants et deux hippopotames. En 2022, ce sont deux éléphants et un hippopotame qui seront clandestinement abattus. Ces chiffres peuvent sembler insignifiants, mais aux yeux des acteurs du domaine et surtout au regard de l’effectif de la faune burkinabè, cet éléphanteau, ces six éléphants et ces trois hippopotames étaient des mastodontes protégés et leur braconnage constitue de lourdes pertes.

Ces dernières années, confie-t-il, le braconnage a pris de l’ampleur dans la région des Hauts-Bassins et spécifiquement dans la forêt de Maro et la réserve de la biosphère de la mare aux hippopotames. Ce dernier biotope se situe à cheval entre la commune de Satiri et celle de Padema. Cette réserve, située à une cinquantaine de kilomètres de la ville de Bobo, est entourée de dix villages riverains. La forêt dans laquelle est logée la mare aux hippopotames s’étale sur 19 200 hectares. La mare, elle-même, a une superficie de 140 hectares en saison sèche et 660 hectares en période de pluie. Quant à la forêt classée de Maro, à environ 70 kilomètres de Bobo-Dioulasso, elle couvre 52 000 hectares. Le directeur régional en charge de l’environnement des Hauts-Bassins, Mathurin Sanon, témoigne que le 15 avril dernier, un groupe de quatre braconniers a été appréhendé et jugé au Tribunal de grande instance (TGI) de Bobo-Dioulasso. Ils ont été condamnés chacun, à une peine d’emprisonnement de six mois avec sursis et une amende de 1 000 000 de F CFA. Ces trafiquants détenaient par-devers eux, des défenses d’éléphants, des crânes d’hippopotames, des peaux d’éléphants et de crocodiles. Conscient de la menace qui pèse sur la faune et particulièrement sur ces espèces, le Burkina Faso a adopté plusieurs mesures sur le plan national et international pour les protéger. « Lorsqu’un braconnier est arrêté par notre équipe, nous engageons la procédure qui consiste à informer le procureur. Le matériel du contrevenant est saisi, celui-ci est auditionné, jugé et transféré », confie le chef de poste de l’unité délimitée de gestion de Bekuy, le capitaine des eaux et forêts, Noufou Guigma. Malgré l’existence de lois et leur application, les braconniers n’en démordent pas. Le code forestier est pourtant clair. Il interdit l’abattage des espèces protégées et stipule à son article 107 que les espèces intégralement protégées font l’objet d’une prohibition totale de prélèvement, que ce soit par capture, chasse ou ramassage d’œufs.

La peau de l’éléphant est utilisée dans la pharmacopée.

L’article 268 du code punit tout contrevenant d’une peine d’emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 5 millions F CFA. Pour le capitaine Guigma, le code inflige des sanctions plus lourdes aux auteurs de braconnage d’espèces intégralement protégées comme l’éléphant et l’hippopotame. Mais la complicité des populations avec les braconniers complique la lutte contre le phénomène. Depuis son poste à Bekuy, le capitaine Noufou Guigma dénonce l’absence de franche collaboration entre les villages riverains et les services forestiers, ces dernières années. « C’est seulement après l’acte que l’information remonte jusqu’à nous », dit-il, tout dépité. Avant 2021, soutient-il, la situation de braconnage n’était pas aussi alarmante. Plusieurs raisons expliquent l’entêtement des braconniers dans l’abattage des éléphants et d’hippopotames au Burkina Faso. Le directeur de l’OFINAP, Souleymane Yaméogo, pointe du doigt la pauvreté, la recherche du gain, l’ignorance, les besoins pour la pharmacopée et pour les coutumes, les dégâts causés aux cultures par les éléphants, les agressions physiques par les animaux sauvages, etc.

La nécessité d’une synergie d’actions

Le directeur de l’Unité de gestion de Bekuy, Souleymane Yaméogo : « Lors des funérailles des chefs dozos, la tête de l’hippopotame constitue l’un des éléments du rituel ».

Pour protéger et conserver l’éléphant et l’hippopotame, les acteurs des eaux et forêts entreprennent plusieurs stratégies dans la région des Hauts Bassins. En plus de la répression, les agents de terrain sensibilisent les populations à l’utilité de ces espèces et l’intérêt de les préserver. Pour cela, ils mettent à contribution plusieurs acteurs pour lutter contre le braconnage de ces animaux menacés d’extinction. « Nos équipes font des patrouilles avec le concours d’autres corps militaires et paramilitaires pour surveiller nos forêts. Ces patrouilles inter-forces contribuent à la sécurisation des aires protégées », précise M. Guigma. Dans un contexte où les mêmes populations riveraines sont braconnières et prédatrices des ressources fauniques, selon le capitaine des eaux et forêts, pour contrôler et protéger les espèces dans la réserve de biosphère des hippopotames de Bala, des villageois, recrutés comme des surveillants de la forêt, sont mis à contribution. Nestor Bado reconnait que l’Association inter-villageoise de gestion des ressources naturelles (AGEREF), qui regroupe les dix villages autour de la réserve, est d’un grand soutien dans la protection des ressources fauniques de la biosphère. Le président des pêcheurs de la mare aux hippopotames de Bala, Dié Ouattara, confie que les agents des eaux et forêts les sensibilisent et les encouragent à dénoncer la présence de personnes suspectes qui rôdent autour de la mare. Le secrétaire général des dozos de la commune de Satiri, Sibiri Honoré Millogo, estime que le braconnage est pratiqué généralement par des personnes étrangères. « Lorsque nous apercevons une personne que nous ne connaissons pas, celle-ci est immédiatement dénoncée auprès des forestiers », explique-t-il. Dans la forêt classée de Maro, une autre organisation est mise en place pour mettre à contribution les populations. Le chef de poste souligne que pour traquer les braconniers, il fait recours à quelques personnes-ressources des villages riverains, notamment aux dozos, au Conseil villageois de développement (CVD), au Groupement de gestion forestière(GGF), aux Conseillers et aux indicateurs personnels. « Ces derniers nous fournissent des informations. Et dès que nous sommes informés, nous mettons en place une équipe pour voir les portes de sortie, au cas où nous n’arrivons pas à les prendre sur le terrain », explique-t-il. Il avoue que ce ne sont pas toutes ces personnes-ressources qui les aident dans leur mission. Car s’il y a des bonnes volontés qui fournissent de vraies informations, il existe aussi des sournois, des personnes de mauvaise foi, juge le chef de poste Guigma.

Le terrorisme, une nouvelle menace

Le chef de poste de la réserve de la biosphère de la mare aux hippopotames, Nestor Bado : « Si ces espèces viennent à disparaitre, c’est la forêt qui va perdre sa valeur intrinsèque ».

Outre l’insuffisance de personnel et le manque d’équipements adéquats, l’apparition du terrorisme au pays des Hommes intègres depuis plus de six ans, vient compliquer davantage la tâche des services des eaux et forêts dans l’accomplissement de leur mission de protection des espèces menacées. L’insécurité demeure le véritable obstacle pour la lutte contre le braconnage dans l’Unité de gestion de Bekuy.

Elle empêche les équipes de dérouler de bout en bout leur programme de surveillance dans la forêt de Maro et la réserve de biosphère de la mare aux hippopotames. Le chef de poste de Maro, Noufou Guigma explique qu’avant l’insécurité, son équipe effectuait 12 à 15 sorties de surveillance par mois. Mais il soutient que de nos jours, il n’est plus possible d’effectuer ces genres de déplacement. « Il est périlleux de faire encore des patrouilles dans les forêts de manière convenable de peur de rencontrer des individus dangereux», confirme le directeur régional, Mathurin Sanon. Cette situation contribue à aggraver la menace d’extinction de ces espèces dans les aires protégées. Les programmes sont en veilleuse dans ces zones et les activités d’aménagement pour le bien-être des espèces dans les forêts ne sont plus menées, affirme-t-il. « Du fait qu’il n’y a plus de surveillance et d’aménagement dans la zone, nous ignorons dans quel état subsistent les troupeaux abandonnés. A la limite, ils sont laissés à eux-mêmes. Cela facilite le braconnage des espèces et le bradage des ressources dans les forêts », déplore-t-il. Nous n’avons pas eu de statistiques récentes disponibles sur le nombre d’éléphants et d’hippopotames dans les deux zones. Selon M. Sanon, la situation actuelle du pays et surtout la non-maitrise des forêts constituent une véritable menace pour la survie des espèces protégées. En plus du développement du braconnage, les effets du changement climatique constituent une menace pour la survie de l’éléphant et de l’hippopotame, renchérit le directeur de l’Unité de gestion de Bekuy, Souleymane Yaméogo. Pour lui, les fortes chaleurs et le manque d’eau de ces dernières décennies dus au changement climatique empêchent l’épanouissement des espèces fauniques.

La disparition du tourisme

En plus d’impacter négativement la sécurisation des aires protégées, l’hydre terroriste met également à mal les activités touristiques dans la mare aux hippopotames de Bala et occasionne de nombreuses pertes financières. « Que ce soit sur le plan national et international, les touristes ne viennent plus visiter la mare aux hippopotames. Nous n’avons plus de recettes touristiques pour le développement de notre commune », fait remarquer le chef de poste de la réserve de biosphère de la mare aux hippopotames, le lieutenant-colonel, Nestor Bado. « La mare aux hippopotames accueillait aussi de nombreux touristes qui viennent spécialement pour les hippopotames et les éléphants. Aujourd’hui, à cause du terrorisme, le site n’enregistre plus aucune visite », déplore-t-il. Et d’ajouter que les visites touristiques ont un impact positif sur l’économie des villages riverains. « Cela fait déjà près de quatre ans que nous n’enregistrons plus de touristes et ce sont les conséquences de l’insécurité. Nos recettes ont forcément baissé et les populations ne bénéficient plus des retombées », poursuit-il. M. Bado affirme que depuis ces trois dernières années (2020, 2021,2022), à cause de l’insécurité, il n’y a plus de tourisme dans la réserve de biosphère de la mare aux hippopotames. En 2016, aux premières heures de l’insécurité au Burkina Faso, l’OFINAP avait enregistré 815 500 F CFA pour les visites de la mare aux hippopotames. En 2018, ces recettes ont quasiment été réduites de moitié.

Bien former et mieux équiper

Le chef de poste de l’Unité délimitée de gestion de Bekuy, le capitaine Noufou Guigma, affirme qu’en mai 2022, il y a eu deux cas de braconnage d’éléphants dans la forêt classée de Maro.

Nestor Bado estime que c’est grâce à l’existence de certaines espèces de notoriété dans la réserve, qu’elle a acquis le label de réserve de biosphère. Il précise que si ces espèces disparaissent, la forêt peut perdre ce titre de label de biosphère. Au regard de la situation sécuritaire que traverse le pays, le commandant des eaux et forêts, Dramane Sombié, propose de repenser leur stratégie d’intervention sur le terrain, afin de protéger les espèces menacées. « Nous demandons que l’Unité de gestion de Bekuy soit dotée d’un équipement adéquat et d’un effectif étoffé pour nous permettre de combattre efficacement le braconnage et empêcher la disparition de ces espèces emblématiques pour le Burkina Faso », dit-il. Et au chef de poste de Bekuy de prévenir que si la forêt de Maro est récupérée par les djihadistes, c’est la région qui est appelée à disparaitre un jour parce que cette forêt est au centre des deux provinces du Tuy et du Houet. Le directeur de l’Unité de gestion de Bekuy, Souleymane Sawadogo, souhaite que des stages de perfectionnement soient organisés pour leur permettre de faire face à la nouvelle donne sécuritaire. « Avant, les formations ne prenaient pas en compte les engins explosifs. Mais aujourd’hui, les groupes armés nous piègent avec ces engins. Nous invitons donc les premiers responsables du ministère à réadapter nos modules de formation à la situation que connait notre pays », suggère-t-il. Pour sa part, le directeur régional en charge de l’environnement, Mathurin Sanon, souhaite que les postes de services forestiers soient dotés de drones pour leur permettre de réaliser des surveillances à distance.

Wamini Micheline OUEDRAOGO

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