L’euro, la monnaie des pays de l’Union européenne (UE), connait une baisse de sa valeur, jamais enregistrée depuis 2002. Quelles sont les implications ou les conséquences de cette baisse pour l’économie européenne voire mondiale, mais surtout pour les économies africaines de la zone franc. Pour répondre à cette question, le journal de tous les Burkinabè, Sidwaya, s’est entretenu avec un averti du sujet, l’enseignant- chercheur à l’Université Joseph-Ki-Zerbo, Pr Hamidou Sawadogo, spécialiste en monnaie-banque-finance.

 

Sidwaya (S) : Ces derniers temps, l’euro connait une baisse historique de valeur depuis sa création. Qu’est-ce qui explique cela ?

Pr Hamidou Sawadogo (H. S.) : L’euro est, en effet, tombé à son plus bas niveau depuis 2002 face au dollar. L’euro, la monnaie cours légal de l’UE, a chuté pour atteindre 1,03 pour un dollar. Un record en près de 20 ans. L’euro a perdu face au dollar de prêt de 16,5 % de sa valeur. Aujourd’hui, les deux monnaies sont presque égales. Pour ce qui est des raisons de cette baisse, techniquement et pour les investisseurs, les rendements des bons du Trésor américain sont supérieurs à ceux de la dette européenne, ce qui leur fait préférer le dollar à l’euro, d’où la chute de la valeur de l’euro. Mais pour faire simple, je dirai que la principale raison qui explique la chute de l’euro est évidemment la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Au vu de la réduction de la fourniture russe du pétrole sur le marché mondial, l’offre s’est contractée, alors que la demande n’a pas baissé et même mieux, elle a augmenté avec les relances sur le marché du transport que la COVID- 19 avait réduites à son strict minimum. Notons que la Russie est troisième pays producteur/exportateur mondial de pétrole et donc son offre est non négligeable ; alors le carburant, le gaz et l’électricité ont tous vu leurs prix s’envoler. Il me semble que la monnaie européenne n’a pas pu résister à ce choc. Il est facile de le remarquer, car avant la guerre entre la Russie et l’Ukraine, l’euro coûtait autour de 1,14 dollar et aujourd’hui c’est presque un euro égal un dollar.

S : Quelles sont les conséquences d’une telle baisse pour les économies des pays africains, notamment ceux ayant comme monnaie le franc CFA ?

H. S . : Notre monnaie, le franc CFA est rattaché à l’euro et mécaniquement nous avons les mêmes conséquences que celles de l’UE à priori. En économie, il faut savoir que la baisse de la valeur d’une monnaie par la dévaluation relance les exportations et démunie les importations, ce qui est une bonne chose. Mais dans un régime de change flottant, la baisse de la valeur de la monnaie est souvent causée par l’inflation, la perte de confiance des investisseurs et je pense que c’est le cas pour l’euro actuellement. Il me semble que l’inflation dans la zone euro est à son plus haut niveau (8,6 %). Cette dépréciation de l’euro augmente donc le coût de la vie en renchérissant les importations. Normalement, cette baisse de la valeur de l’euro devait être une opportunité pour relancer les exportations des pays africains, vu que les biens produits localement sont moins chers. Mais il me semble que cela ne sera pas le cas, car nous importons plus que nous exportons. Du coup, cette baisse est une mauvaise chose pour les pays de la zone CFA. Le coût de la vie qui est hélas déjà élevé va continuer de grimper. Si je me résume, une baisse de la valeur de l’euro est une baisse de la valeur du franc CFA à cause de la conversion mécanique, et cela renchérit la valeur des biens importés ; alors que nous sommes importateurs, très souvent importateurs nets. Le coût de la vie va donc encore augmenter dans nos pays.

S : Cette baisse de l’euro profite-t-elle aux autres monnaies concurrentes comme le dollar américain, le yuan chinois, etc. ?

H. S . : Pas forcément, je pense que c’est une récession mondiale qui est attendue. Les prix de toute chose augmentent à la suite d’une contraction de l’offre et cela se matérialise par une inflation et avec son corollaire de malheur. On risque d’observer encore la baisse de la production couplée avec l’inflation et le chômage, ce que les économistes appellent stagflation. La Chine se débrouille bien et échappe souvent à toute prédiction économique. Elle pourrait probablement savoir tirer profit comme vous le dites ; car même avec la baisse de la valeur de l’euro, cette dernière reste plus forte que le yuan de la Chine. Les produits chinois demeurent moins chers et donc la Chine vendra toujours avec l’Europe, l’Afrique et même les Etats-Unis.

S : Quelles pourraient être les répercussions de la perte de valeur de l’euro sur l’économie européenne, voire mondiale ?

H. S . : Ce qui est à souhaiter est la relance des exportations européennes, mais ce qu’on observe c’est l’inflation et dans les mois à venir, la récession, si on en croit à la théorie des cycles économiques. Il y a la tendance lourde qui pèse sur l’UE, c’est la guerre Russie-Ukraine et il ne faut pas l’ignorer. Les économistes craignent vraiment une récession mondiale.

S : Quand doit-on espérer une remontée de l’euro ?

H. S . : Ce sera prétentieux de ma part de donner une date. Toutefois, si la guerre entre la Russie et l’Ukraine venait bientôt à prendre fin, ce que les experts jugent peu probable, la dépréciation de l’euro pourrait s’arrêter. Une deuxième alternative pour arrêter la dépréciation de l’euro est de remonter les taux d’intérêt dans la zone euro, ce que ne saurait trop conseiller les grands techniciens de la Banque centrale européenne (BCE).

Interview réalisée

par Mahamadi SEBOGO

Windmad76@gmail.com

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