Le Conseil des ministres du 06 août 2020 a, parmi les points figurant à son ordre du jour, délibéré sur le projet de modification du décret n°2015-985/PRES/TRANS/PM/MATD/MEF du 17 août 2015 portant création, composition, attributions et fonctionnement de l’Observatoire national des faits religieux (ONAFAR). Ainsi, « La modification de ce décret vise la prise en compte de la religion traditionnelle, la révision du mandat des membres du bureau de l’ONAFAR et de ses membres représentants ainsi que la prise en compte des points focaux régionaux ».

Cette décision du gouvernement est, à n’en pas douter, un pas de géant dans la gestion des religions, dans la promotion de la cohésion sociale et dans la construction de l’Etat-nation burkinabè. L’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI) apprécie à sa juste valeur l’adoption de ce décret qui s’inscrit en droite ligne dans ses objectifs qui sont, entre autres :

  • d’amener la population à se soucier du danger que constitue l`intolérance en général et l’intolérance religieuse en particulier ;
  • de sensibiliser les citoyens afin qu’ils s`impliquent dans la promotion de la tolérance religieuse et du dialogue interreligieux à tous les niveaux de la société ;
  • de promouvoir la coexistence pacifique entre les confessions religieuses, les races, les groupes ethniques et les personnes des deux sexes.

Notre association, alors qu’elle n’avait pas encore obtenu son récépissé de déclaration d’existence, avait publié à cet effet, sous la plume de M. Issaka Sourwèma, Naaba Boalga chef traditionnel du village de Dawelgué dans la commune de Saponé, une tribune intitulée « Pratiques religieuses et coutumes au Burkina : 14 raisons de dé-diaboliser les religions traditionnelles et d’en faire des religions tout court »   dans le quotidien L’Observateur Paalga du 09/07/2018.  Nous y déplorions, la non-prise en compte de la religion traditionnelle au sein de l’ONAFAR en ces termes : « Le dialogue interreligieux se résume au dialogue islamo-chrétien : ce qui revient à dire que le statut des religions traditionnelles africaines n’est pas reconnu par les Islamo-chrétiens. Pire, il ne l’est pas non plus par l’Etat. Le fait que ces religions africaines ne sont pas représentées au sein de l’Observatoire national des faits religieux (ONAFAR) confirme éloquemment cela ». Nous concluions la tribune en appelant au « nécessaire dialogue du christianisme et de l’islam avec les religions traditionnelles » et en affirmant qu’« il urge donc que cela soit corrigé et par les islamo-chrétiens et par l’Etat burkinabè sans œillères, sans prénotions, sans préjugés, sans étiquettes, sans condamnation et sans diabolisation. » Aujourd’hui, c’est chose faite de la part de l’Etat.

Toutefois, cet acte salutaire ne pourra réellement atteindre l’objectif de promotion de la cohésion sociale que si certaines conditions sont remplies avec la contribution de tous les acteurs (Etat, pratiquants de la religion, leaders chrétiens et musulmans…). Il s’agit de :

  • la nécessaire sensibilisation, par l’Etat, des leaders des faîtières chrétienne (catholique et évangélique) et musulmane que sont la Conférence épiscopale Burkina-Niger (CEBN), la Fédération des associations islamiques du Burkina (FAIB) et la Fédération des églises et missions évangéliques (FEME) afin que cette intégration de la religion traditionnelle au sein de l’ONAFAR soit bien comprise et que des consignes soient données à leurs représentants au sein de l’Observatoire pour bannir toute sorte de stigmatisation, de discrimination, de stéréotype et de préjugé ;
  • l’apport attendu des lettrés pratiquant la religion traditionnelle dans des activités permettant une meilleure connaissance de cette religion par l’opinion publique car celle-ci est fortement influencée par des responsables chrétiens et musulmans qui assimilent cette religion à celle du prince des ténèbres ;
  • la différenciation nette entre chefs coutumiers (correspondant aux leaders religieux traditionnels ou chefs de terre) et chefs traditionnels (équivalant aux chefs politiques traditionnels) de sorte qu’il n’y ait pas d’usurpation de titre et/ou de fonction de la part des seconds au détriment des premiers ; ce qui, par conséquent, doit amener le gouvernement et les faîtières religieuses existantes à tenir compte de cette réalité dans la désignation des membres de l’ONAFAR, l’élection des membres de son bureau et le choix de ses points focaux. Un chef traditionnel pourrait représenter la chefferie coutumière, mais à condition que ce soit avec l’accord des premiers intéressés. Ce cas de figure est d’autant plus envisageable que la plupart des chefs coutumiers dans nombre de régions du pays n’ont malheureusement pas reçu d’instruction dans l’acception « moderne » du terme ; or, la participation pleine et entière aux activités implique des prérequis en termes de lecture, d’écriture et d’expression en français ;
  • la prise en compte des principales aires socio-ethniques dans la désignation des membres de l’ONAFAR en relation avec le nombre de membres accordé aux fidèles de la religion traditionnelle. Ainsi, le nombre de ces représentants que nous supposons quatre (04), à l’instar de ceux du christianisme ou de l’islam, permettrait, en étant plus inclusif au plan religieux, de l’être en même temps sur le plan socio-ethnique ; un double gain à travers une seule action ;
  • l’urgence de la tenue d’une rencontre (réunion, atelier, séminaire ou autre) avec un échantillon représentatif au plan socio-ethnique des chefs coutumiers pour expliquer les tenants et les aboutissants de cette décision et les encourager à s’organiser pour faire porter leurs préoccupations par une personne morale de rang associatif ;
  • la conduite d’une étude à l’échelle nationale pour une meilleure connaissance de cette religion ;
  • l’accompagnement des pratiquants de cette religion dans la création d’une faîtière (à l’image du CEBN, de la FAIB et de la FEME) dans les limites de ce que permettent les textes dans l’Etat laïc qui est le nôtre. Cela nous semble pertinent car la religion traditionnelle est d’abord un fait « individuel » (même dans les sociétés à organisation sociopolitique pyramidale), donc sans leader au sens islamo-chrétien du mot. Pour preuve, le chef coutumier est l’interface strictement fonctionnelle mais pas hiérarchique entre Dieu et les vivants par l’entremise des ancêtres.

Il faut donc espérer que cette décision est le début d’une dynamique qui intégrera systématiquement les responsables de la religion traditionnelle dans les institutions étatiques (au sens large) existantes (ou à créer) où ce système de croyances est concerné. Nos dirigeants auront alors fait preuve de reconnaissance vis-à-vis de nos ascendants et leur auront ainsi rendu hommage. Ils auront, du même coup, continué à poser des actes promouvant et consolidant les bases de la construction de l’Etat-nation, dont la postérité leur saura gré. En tout cas, l’ATR/DI est disposée à les y accompagner.

Fait à Ouagadougou le 09 août 2020

Pour le Bureau national, le 2e Vice-président

Wurotèda Ibrahima SANOU

 

 

 

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