Le Président de l’ATR/DI Issaka SOURWEMA Dawelg Naaba Boalga

Le dimanche 14 avril 2019, lors de l’émission « Le débat de presse » sur la RTB/Télévision, M. Dieudonné Zoewendmanogo Zoungrana, directeur de publication du quotidien Aujourd’hui au Faso, s’est prononcé sur le projet d’authentification des diplômes des agents publics de l’Etat, initié par le gouvernement.

Il a, dans la foulée de son intervention, ouvertement accusé les Burkinabè nés en Côte d’Ivoire d’être ceux-là qui ont utilisé des faux diplômes et resquillé pour être recrutés par la fonction publique. S’en est suivie, pendant les deux (02) semaines qui ont suivi, un concert général d’indignations tonitruantes des indexés à travers les médias traditionnels et les médias et réseaux sociaux. Ensuite, c’était au tour de l’institution chargée de la régulation du contenu des médias, le Conseil supérieur de la communication (CSC), de s’en saisir et d’auditionner M. Zoungrana et des responsables de la RTB, le vendredi 19 avril 2019.

L’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI) qui se donne pour objectif, entre autres, de promouvoir la coexistence pacifique entre les confessions religieuses, les races, les groupes ethniques et les personnes des deux sexes ne pouvait donc pas rester indifférente face à cette situation.

C’est pourquoi, par la présente déclaration, elle a décidé de donner sa position en allant au-delà des aspects factuels, en prenant en compte le contexte, en proposant des éléments explicatifs et en interpellant M. Dieudonné Zoungrana et les pouvoirs publics. Nous avons choisi délibérément d’attendre que la fièvre retombe avant de nous prononcer afin de cerner le maximum de contours des sentiments et des jugements des citoyens et des institutions.

Ce que disent les faits

Les faits étant sacrés, partons des propos de l’intéressé qui tiennent lieu de faits : « Le problème de diplômes, c’est la diaspora. Ce sont nos compatriotes venus de la Côte d’Ivoire. Quand ils sont venus, ils ont révolutionné un certain nombre de choses: la mentalité. Ils sont sans complexe, ils sont Burkinabè mais leur esprit n’est pas burkinabè. Ce sont des boyôrôdjan » (page Facebook Yakoi O Faso) A l’évidence, que cette prise de position engendrât des débats passionnants et parfois passionnés n’était guère étonnant. Ce qui est par contre surprenant, c’est le niveau de langue et le contenu des arguments que nombre d’internautes ont opposés à M. Zoungrana : certains, dans un style qui ne reflète point l’échelon académique et administratif qu’ils prétendent avoir exigeaient la radiation du « bon bougre » de la liste des journalistes du Burkina, tandis que d’autres sommaient les pouvoirs publics de suspendre, voire d’interdire la parution du journal ; oubliant ainsi que nous sommes dans un Etat de droit et ignorant peut-être que dans ce type d’Etat, ce ne sont pas les instincts grégaires qui gouvernent la cité. Et puis, M. Zoungrana n’a fait qu’exprimer des opinions même si celles-ci étaient inconvenantes. De plus, ce ne sont pas les publications de quelques individus déchaînés sur la toile qui font force de loi ; ce sont les textes législatifs adoptés par le législateur et les actes règlementaires pris par le gouvernement.

Qu’à cela ne tienne, lors de son audition en présence des responsables de la RTB, notons que dans le registre des faits auxquels nous faisions tantôt allusion, M. Zoungrana a reconnu son erreur et s’est excusé en ces termes : «  Notre prise de  position sur la question de l’authentification des diplômes d’entrée à la Fonction publique a été jugée offensante, injurieuse, discriminatoire, voire haineuse, par une partie de nos compatriotes. Nous comprenons et partageons les frustrations légitimes, exprimées d’une façon ou d’une autre, par des Burkinabè. Notre intention n’était pas de blesser, de jeter l’opprobre ou de stigmatiser une catégorie de nos concitoyens qui sont nés, qui ont fait leurs humanités ou qui font des affaires au Burkina Faso ou hors des frontières matérielles du pays. A tous ceux qui se sont sentis concernés, à toute la diaspora qui s’est sentie ciblée, humiliée, par nos propos, nous présentons nos sincères regrets et excuses. »

Bravo à M. Dieudonné Zoungrana mais…

A notre sens, les propos de M. D. Zoungrana qui ont mis le feu aux poudres étaient sincères même s’ils ont fait légitimement mal ; ainsi en est-il aussi de son mea culpa qui est franc même s’il ne répare pas le préjudice causé aux Burkinabè nés en Côte d’Ivoire. Certes, d’aucuns diront qu’il y était contraint mais il importe de louer les regrets et les excuses publics formulés par le directeur de publication de Aujourd’hui au Faso pour une raison : au lieu de se contenter juste d’un communiqué laconique construit sur des concepts généraux et insipides, il a utilisé des vocables ou des expressions à fortes charges sociales comme « Nous comprenons et partageons les frustrations légitimes… » et «A tous ceux qui se sont sentis concernés, à toute la diaspora qui s’est sentie ciblée, humiliée, par nos propos, nous présentons nos sincères regrets et excuses ». De plus, il faut lui tirer notre chapeau surtout quand on sait que beaucoup d’internautes qui ont crié haro sur le baudet sont incapables d’une telle hauteur d’esprit préférant l’anonymat douillet qu’offre la toile ou l’expression facile de leur humeur (pour ceux qui sont identifiables) généralement désagréable à l’effort combien difficile d’examen rigoureux des faits dont l’opinion publique a besoin pour être édifiée.

Cela dit, M. Zoungrana s’est trompé, a présenté ses regrets et ses excuses à tous ceux qui se sont sentis stigmatisés, discriminés et offensés. Le chapitre est donc clos mais il n’est pas impertinent de conseiller à l’intéressé plus de circonspection et de dépassement vis-à-vis des idées véhiculées par le sens commun qui, pour insistantes qu’elles puissent être et pour dominantes qu’elles puissent paraître au sein de l’opinion publique, ne sont ni vérifiées par des institutions qualifiées, ni confirmées par des personnes de notoriété relevant du domaine en question. Ce conseil tient aussi du fait que certaines autres de ses interventions ont déjà suscité des polémiques même si ces polémiques n’avaient pas atteint la même ampleur. Il n’y a pas de doute qu’en tant que leader d’opinion, il ne puit empêcher que ses prises de position soient sujettes à des controverses (et c’est même une bonne chose) mais au-delà d’un certain seuil, ces controverses deviennent improductives voire contreproductives et pour le journaliste qu’il est et pour la collectivité.

Les « diaspos » ont gagné leur bataille mais le Burkina pas encore sa guerre

Après les regrets et les excuses publics du directeur de publication d’Aujourd’hui au Faso, la bulle de l’audimat sur le sujet s’est éclatée. Les commentaires tout aussi haineux et méchants que venimeux et vénéneux semblent avoir disparu comme par enchantement.

Ce sont des cris de victoire que l’on lit et entend çà et là. C’est compréhensible, c’est justifié mais ce n’est pas suffisant ; car c’est maintenant que le plus dur commence. En effet, s’il est donné à tous d’entendre le fracas causé par la chute d’un géant arbre dans la forêt, seuls les plus attentionnés perçoivent le murmure du roseau dont le rôle n’est moins important dans la niche écologique. Autrement dit, on a lu et entendu ceux qui se sont élevés contre les propos de M. Zoungrana mais quid des autres ?

Si ce dernier a tenu, de façon décomplexée, de tels propos, le contexte n’y est pas étranger. Il a été certainement le porte-parole (non désigné certes) d’une opinion pour laquelle les fonctionnaires burkinabè nés en Côte d’Ivoire (sans distinction hélas) sont la source des maux de l’administration burkinabè de nos jours. Une autre opinion moins catégorique mais dont les jugements sont tout aussi regrettables circonscrit le phénomène au niveau de la vague des élèves et étudiants burkinabè rentrée au Faso dans les décennies 70 et 80.

Pour cette opinion, ces Burkinabè sont totalement intégrés et incapables d’être reconnus tant qu’on ne consulte pas leurs documents d’identité. Leurs comportements et leur mentalité seraient, en tout point, semblables à ceux des Burkinabè nés au Burkina.

Ceux qui partagent ces deux (02) types d’opinion-là ont été très peu présents sur la toile et dans les émissions interactives des stations de radio FM, laissant le champ libre à ceux qui exigeaient, à la limite, l’interdiction définitive de parution d’Aujourd’hui au Faso. Or, ne pas être présents sur les médias et les réseaux sociaux à cause d’un rapport de forces jugé non favorable ne signifie pas que cette catégorie de personnes a changé d’opinion, encore moins que cette opinion est morte. Cela étant, si une solution structurelle n’est pas apportée par la société, les politiques en tête, le problème resurgira tôt ou tard sous des formes identiques ou différentes.

Le Burkina a certes gagné cinq (05) points dans le classement mondial de la liberté de la presse 2019 fait par Reporters Sans Frontières (RSF), qui se base sur les performances en matière de pluralisme, d’indépendance des médias, d’environnement et d’autocensure, de cadre légal, de transparence et de la qualité des infrastructures soutenant la production de l’information mais des sentiments refoulés par une couche (que nous supposons) importante de la population constituent des nuages noirs capables d’engendrer des orages périlleux pour notre nation en construction. Ce n’est pas une prophétie de malheur, c’est ce qu’enseignent les sciences sociales et humaines.

« L’affaire Dieudonné Zoungrana », un révélateur des menaces qui planent sur la société burkinabè

Si nous employons l’expression « L’affaire Dieudonné Zoungrana », ce n’est ni pour remuer le couteau dans la plaie, ni pour lui conférer un contenu judiciaire. Nous faisons simplement allusion à l’élément déclencheur de l’emballement du cyberespace et des médias pendant deux (02) semaines. Cette précision faite, il faut affirmer avec force que cette affaire intervient au moment où les actes de stigmatisation, les stéréotypes, les préjugés, les faits de discrimination sont en train d’atteindre leur pic.

L’examen de ces concepts en rapport avec la situation actuelle peut permettre de cerner davantage les défis qui nous attendent afin de nous préparer en conséquence. Commençons par le péché originel qu’est la situation de nos compatriotes nés en Côte d’Ivoire et qui sont rentrés chez eux au Burkina. On les désigne sous le vocable « diaspora » qui est au mieux une méprise et au pire une forme de bannissement. Le mot « diaspo » est encore pire,  vu son contenu ultra-péjoratif.

Vous l’aurez remarqué, nous évitons d’employer le mot diaspora ; ce pour deux raisons : d’une part il est inopérant pour des personnes nées à l’étranger et qui reviennent s’installer dans leur pays. En effet, c’est un mot du grec ancien désignant la dispersion d’une communauté ethnique ou d’un peuple à travers le monde. À l’origine, ce terme ne recouvrait que le phénomène de dispersion proprement dit. Aujourd’hui, par extension, il désigne aussi le résultat de la dispersion, c’est-à-dire l’ensemble des membres d’une communauté dispersés dans plusieurs pays.

On ne peut pas donc utiliser le mot diaspora pour désigner les Burkinabè nés ailleurs mais qui résident dans leur pays. Il n’y a pas de diaspora encore moins de « diaspos » au Faso.

Il y a des Burkinabè tout court. D’un autre côté, nous abhorrons ce mot car il fait dans la stigmatisation. En sciences sociales, c’est un processus qui, à terme, marque l’individu ou le groupe d’un opprobre : les stigmatisés sont ceux et celles qui subissent une réprobation sociale parce qu’ils auraient contrevenu à une loi ou une norme sociale; ils sont vus comme étant déviants. Le moins que l’on puisse dire, c’est que les Burkinabè nés en Côte d’Ivoire sont au plus haut point à classer dans cette catégorie lorsqu’on les qualifie de « diaspo ».

Le souci ici n’est pas de savoir si ce dont on les accuse est avéré ou non. Par contre, ce qui est inadmissible, c’est la généralisation facile de certains jugements négatifs à leur endroit en entièreté. A supposer même que ce dont on les accuse soit avéré pour nombre d’entre eux, la responsabilité sociale toute comme celle pénale est individuelle et toute cette catégorie de Burkinabè n’a pas, dans son ensemble, à en souffrir.

Avant l’affaire D. Zoungrana, il y avait déjà hélas de la stigmatisation, des préjugés, des stéréotypes et de la discrimination avec une tendance haussière

Il ne faut pas se voiler la face et il ne faut pas non plus que la victoire des Burkinabè nés en Côte d’Ivoire dans l’affaire D. Zoungrana nous fasse oublier que depuis des lustres, les Burkinabè, sur des bases historiques, ethniques et culturelles, cultivent (individuellement ou collectivement), par ignorance ou à dessein, de la discrimination, des préjugés, des stéréotypes et de la stigmatisation les uns envers les autres. La victoire sur ces comportements, attitudes et discours est une des conditions pour l’avènement du Burkina nation.

En attendant de revenir ultérieurement dans une autre déclaration sur le contenu sémantique des concepts précités, on peut mentionner des exemples concrets entendus çà et là dans l’opinion ou de la bouche des parents à plaisanterie. Cela ne signifie point que nous faisons nôtres ces caractérisations faciles. C’est même à une sorte de dénonciation que nous nous livrons. Ainsi, pour ce qui est des ethnies, par ordre alphabétique, les Bissa sont étiquetés comme des intrigants c’est-à-dire, des comploteurs ; les Bwa et les Gourounsi (un concept employé faute de mieux), des bons sauvages (à contenu hautement péjoratif) à la Jean-Jacques Rousseau ; les Dagara, des gens peu disposés à se conformer à certains cadres rigides de la vie en société ; les personnes de culture dioula, des fanfarons et comme tels se vantant avec exagération d’exploits réels ou imaginaires ; les Gourmantchéba, des sorciers auxquels on attribue des pouvoirs surnaturels et en particulier la faculté d’opérer des maléfices avec l’aide du diable ou de forces malfaisantes ; les Lobi, des primitifs ; les Mossé du centre, des individus sournois c’est-à-dire des gens dissimulant leurs sentiments réels dans une intention malveillante ; les Mossé du Yatenga, des personnes extravagantes ne sachant pas tenir un secret, parlant même quand il convient de se taire mais pouvant exceller dans le complot ; les Peulhs, des roublards faisant ainsi preuve d’astuce, de ruse et de tromperie dans la défense de leurs intérêts égoïstes, etc.

On s’en aperçoit aisément, nulle communauté n’est à l’abri des stéréotypes et des préjugés dans l’absolu à cause des différences liées à l’histoire, à la culture et à la géographie. L’essentiel est que ceux-ci soient contenus ou endigués en deçà d’un certain seuil qui ne leur permet pas de virer en stigmatisation et/ou en discrimination.

 La responsabilité des élites scolarisées et urbaines

Pour cela, les élites scolarisées et urbaines ont leur partition à jouer. En effet, tant que ce sont nos ascendants ou nos collatéraux illettrés et/ou vivant au village qui, du fait de leur prisme culturel, regardent, de façon biaisée, les membres des autres communautés à travers les œillères que leur ont léguées leurs parents, ils pêchent par ignorance. Il suffit qu’on explique qu’il s’agit d’un phénomène d’altérité culturelle et le tour est joué. En anthropologie par exemple, l’altérité culturelle renvoie à ce qui est autre, à ce qui est extérieur à un soi et est donc différent de celui-ci. En société, elle implique la reconnaissance de l’autre dans sa différence, aussi bien culturelle et religieuse qu’économique et politique.

Mais hélas, mille fois hélas, il s’en trouve des Burkinabè puissants soit politiquement, soit administrativement, soit enfin financièrement qui entreprennent, consciemment et délibérément, d’entretenir ces stéréotypes et préjugés afin d’en tirer un gain politique et/ou économique. Dans ces conditions, on a beau créer des institutions, organiser des fora et entreprendre des campagnes de sensibilisation, le risque est grand de dilapider les maigres ressources de l’Etat sans aboutir au résultat escompté car pendant les uns ensemencent, les autres déterrent.

Dans un contexte de crise sécuritaire, comme celui du Burkina, ces maux ont amené malheureusement bien de nos concitoyens (et pas des moindres) à assimiler tous les Peulh ou l’écrasante majorité des Peulh à des concepteurs ou à des exécuteurs des actes terroristes que connaît le pays. Tout en ne niant pas que des membres de cette communauté soient des stratèges et/ou des bras opérationnels des terroristes, la généralisation rapide est en fait un raccourci confortable mais qui ne permet pas de se poser les vraies questions et de faire l’effort de trouver les solutions idoines pour le bénéfice de tout le Faso.

Cela est d’autant plus vrai qu’on a compté des Ouédraogo et des Sawadogo parmi les terroristes mais viendrait-il à l’idée de qui que ce soit de penser encore moins de dire que les Mossé sont des terroristes ? A chacun de trouver sa réponse. L’assimilation systématique des Peulh à des terroristes peut contribuer à élargir la base sociale de cette hydre hideuse et son bassin de candidats potentiels aux attaques menées par les « individus armés non identifiés ».

L’ivraie pousse avec le bon grain jusqu’à l’heure de la moisson. Il peut rendre l’épi du bon grain chétif dans la mesure où tous les deux (02), ils se disputent les mêmes conditions pédologiques, les mêmes ressources et les mêmes substances nutritives. Pour autant, on ne peut en déduire que l’ivraie peut se substituer au bon grain.

Pour le bureau national, Le Président

Issaka SOURWEMA

Naaba Boalga

Chef traditionnel du village de Dawelgué

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