Zéphirin Diabré, Chef de fil de l'opposition politique au Burkina et président de l'UPC


Dans un mémorandum intitulé « Une année perdue pour le Burkina Faso », le chef de l’opposition burkinabè, Zéphirin Diabré, tacle le bilan du président Roch Marc Christian Kaboré, au pouvoir depuis un an. Alors que les indicateurs macroéconomiques se sont améliorés avec une croissance du PIB de 0, 2 point supérieur aux attentes  à 5, 4% et malgré l’engouement des bailleurs de fonds et des investisseurs privés − qui ont promis quelques 28 milliards d’euros lors de la Conférence de Paris en décembre dernier pour financer le Plan national de développement économique et social, d’un coût évalué à 15 400 milliards de F CFA −, l’opposition au président Kaboré juge décevante sa gestion pendant sa première année de pouvoir. L’économiste et président de l’Union pour le Changement, principal parti d’opposition, Zéphirin Diabré s’est confié à Jeunes Afrique.

Jeune Afrique : L’opposition politique a publié ce mardi un mémorandum critiquant sévèrement le bilan de Kaboré. Comment justifiez-vous cette prise de position?

Zephirin Diabré : La rédaction de ce mémorandum est avant tout une nouveauté dans la démarche de l’opposition burkinabè. Nous l’avions fait pour les 100 premiers jours du pouvoir en 2016. Il y a une volonté de l’opposition de maintenir la pression sur le gouvernement et de montrer qu’elle suit au quotidien la gestion du pays.

Je peux affirmer que le contenu de ce mémorandum reflète ce que l’on entend ça et là dans les rues de Ouagadougou et partout au Burkina. Pour nous que 2016 a été une année perdue. Je pense aussi que l’origine politique des ténors du pouvoir actuel fait subsister envers eux une suspicion à ne pas réaliser le changement. Malheureusement, certains de leurs actes confortent cette opinion.

Pourtant sur le front économique, on note des avancées comme la hausse du volume des importations. Est-ce que l’opposition ne verse pas dans la critique facile ?

Nous relayons le sentiment de la majorité des burkinabè. L’état du pays et son évolution ne se mesurent pas uniquement avec des chiffres tirés d’analyses faites par des techniciens. Il faut tenir compte également de l’avis des citoyens sur leur vécu. La reprise ne s’est pas encore traduite dans le panier de la ménagère. Sortez, demandez aux commerçants, aux travailleurs, ils vous diront que 2016 n’a rien apporté  de significatif dans leur quotidien.

Au niveau de l’action gouvernementale, nous constatons de graves flottements, dus au fait que le Premier ministre a été choisi par défaut et qu’il manque visiblement d’autorité sur les ministres qu’il doit pourtant coordonner. Sortant d’une insurrection et connaissant les fortes attentes des populations, nous sommes surpris par ce casting : nombre de ministres brillent par leur incompétence alors que le MPP [Mouvement du peuple pour le progrès, au pouvoir] regorge de militants compétents.

Croyez-vous qu’un an au pouvoir est suffisant pour transformer un pays qui sort de deux années de crise socio-politique ?

Nous nous attendions à des avancées dans certains domaines. Hélas, ce n’est pas le cas. Le mémorandum fait le point là où ça patine.  Sur la lutte antiterroriste par exemple, nous pensons que la réaction du gouvernement a été tardive et lente. Les premières attaques ont eu lieu en janvier 2016, et la réorganisation de la chaîne de commandement de l’armée qui devait suivre immédiatement n’est intervenue qu’en fin d’année.

Il y a aussi les élections politiques organisées par ce régime, et qui ont été émaillées de violences provenant de ténors et de clans du parti au pouvoir. Enfin, nous assistons à la résurgence de certaines pratiques du régime déchu comme la politisation de l’administration, la corruption ou encore la lenteur de la justice.

Vous épinglez les rapports « tendus qui virent à l’affrontement » entre le président Kaboré et ses alliés de toujours, Simon Compaoré, actuel ministre de la Sécurité, ou Salif Diallo, le président de l’Assemblée…

Nous constatons des dissonances sur plusieurs dossiers parmi le trio dirigeant que vous évoquiez. Ce fut le cas lors des élections passées où plusieurs tendances se réclamant d’eux se sont affrontées. Nous avons senti cette divergence pendant la polémique dite de l’affaire des tablettes du groupe Huawei. Le rôle de l’opposition politique est de se saisir de ces failles, pour montrer qu’il n’y a pas de cohérence dans l’action gouvernementale.

Est-ce la raison pour laquelle vous reprochez au président Kaboré de ne pas enfiler suffisamment le costume de président du Faso ?

Absolument !  Nous devons sentir qu’il est le chef.

Comment doit-il s’y prendre selon vous ?

La manière lui incombe. En tant que président élu, il a cette légitimité. Sur certaines décisions, nous attendions qu’il fasse preuve d’autorité comme dans l’affaire de la Centrale d’achat des médicaments essentiels génériques (Cameg). C’est un feuilleton [où un conflit a opposé le directeur général au ministre de la Santé, ndlr] qui empoisonné la vie de la nation. En tant que chef de l’État, il aurait dû taper du poing sur la table pour mettre un terme au conflit.

S’agissant de la nouvelle Constitution, quelles sont les attentes de l’opposition politique ?

Il n’y a pas de grandes divergences entre nous et le gouvernement. Au stade actuel, le projet ne change pas fondamentalement la Constitution actuelle. Il a seulement le mérite de rééquilibrer le pouvoir entre l’exécutif et le législatif, et ouvre de nouveaux espaces de libertés. Ce projet émane surtout de la volonté de la classe politique de marquer le coup politiquement après l’insurrection d’octobre 2014 pour repartir sur un nouveau socle légal et consensuel. La limitation du mandat présidentiel y est bel et bien verrouillée.

Le plus important pour nous est d’arriver à expliquer à l’opinion publique que cette Constitution n’est pas un texte fondamental du MPP, le parti de Roch Kaboré. Nous voulons un texte consensuel, raison pour laquelle nous allons le réexaminer ensemble pour y introduire des remarques issues du terrain.

Comment avez-vous accueilli la création de la Coder, la Coalition pour le démocratie et la réconciliation, qui réunit les partis de l’ex-majorité présidentielle ?

Cela ne nous pose aucun problème. Les textes régissant l’opposition que j’ai fait adopter en tant que chef de file garantissent des droits à la coalition. Nous-mêmes avions créé auparavant la Coalition des forces démocratiques pour le vrai changement, car une opposition est un assemblage de partis d’obédiences diverses. Les partis de la Coder ne s’opposent pas au pouvoir actuel pour les mêmes raisons que nous. Leur préoccupation porte en partie sur la réconciliation, d’autant que ces partis accusent la justice de partialité.

Qu’attend l’opposition aujourd’hui en matière de réconciliation ?

La Coalition que je préside dit vérité, justice et réconciliation. Mais, il revient au gouvernement d’adopter le meilleur scénario pour que le pays aille de l’avant. Il est clair que l’on ne peut se réconcilier sans vérité et justice préalables.

Quels sont vos rapports avec le président Kaboré dont on dit que vous êtes un ami ?

Je n’ai pas de rancœur à l’égard du président Kaboré. Je n’ai d’ailleurs non plus aucun problème avec le ministre Simon Compaoré, ni avec Salif Diallo. Nous avons été tous à un moment donné des collaborateurs de l’ancien président, Blaise Compaoré. Nous étions ensemble sur les mêmes barricades pour lutter contre la modification de l’article 37 par son régime. Je peux me permettre d’ajouter sans me vanter que c’est parce que l’opposition avait commencé à avoir du succès dans son combat contre Blaise Compaoré que ces derniers ont eu le courage de quitter l’ancien régime. Il n’y a donc pas de couteaux tirés entre nous. On aurait même pu travailler ensemble dans d’autres circonstances.

Jeune Afrique

 

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