Un livre-enquête se penche sur les succès (mais aussi les échecs) des réseaux d’espions que la France entretient au sud de la Méditerranée.

Au sein de la DGSE, la section « N » est dédiée aux problématiques africaines. Mais ce n’est pas le seul service de renseignements français à s’intéresser au continent.

Que reste-t-il des réseaux Foccart au sud de la Méditerranée ? Vingt ans après la disparition de Jacques Focart (1913-1997), grand architecte de la « Françafrique », cet écheveau diplomatique parallèle à celui du Quai d’Orsay, mêlant agents secrets et anciens diplomates et servant indistinctement les intérêts de l’État français mais aussi de grands groupes hexagonaux, deux journalistes tentent de répondre à cette épineuse question. Dans leur livre (1), Antoine Glaser et Thomas Hofnung se penchent ainsi sur l’influence réelle qu’exerce encore Paris sur le continent africain.

Le paysage a bien changé, singulièrement depuis la mort d’Omar Bongo le 8 juin 2009, constatent les deux auteurs. De nombreux chefs d’État africains, désireux de s’affranchir de la tutelle de leur ancienne puissance coloniale ont noué des partenariats avec des agences de renseignements étrangères. Si à Bangui, un colonel de la DGSE se vante de voir le président de la République Centrafricaine chaque semaine, dans la plupart des pays, notamment au Tchad, au Cameroun, au Congo et au Togo, les services français se retrouvent désormais confrontés à la concurrence croissante des agences chinoises, américaines, arabes mais aussi russes et israéliennes.

Privatisation du renseignement

Pullulent, par ailleurs, les « officines » privées qui se proposent d’appuyer les services locaux dans des missions de surveillance intérieure ou de formation. La plupart de ces petites PME se présentent comme d’anodines sociétés de conseil mais ont été créées par d’anciens officiers français ayant pris soin de conserver un lien étroit avec leur hiérarchie. Cette privatisation du monde du renseignement n’est pas sans conséquence… Et on le constatera probablement encore au moment du jugement de deux anciens officiers de la DGSE, mis en examen le 12 septembre dernier, pour « association de malfaiteurs » et « détention d’explosif » par la justice française.

En dix chapitres, truffés de révélations, Antoine Glaser et Thomas Hofnung démontrent combien le travail de « nos chers espions » en Afrique a évolué depuis dix ans. Passant en revue l’intégralité du dispositif français, ils décrivent les efforts de ces hommes et ces femmes de l’ombre pour « garder la main » dans les zones les plus stratégiques du continent. Mais tentent aussi de comprendre les raisons qui ont conduit à l’échec de plusieurs opérations : notamment la libération de Denis Allex, agent français, pris en otage en Somalie en 2009. Leur ouvrage évoque ainsi les conséquences néfastes qu’a pu avoir la guerre intestine que se sont livrée, au sein du ministère de la Défense, la DGSE et la direction pour le renseignement militaire : la première voyant d’un mauvais œil que son service action se retrouve détrôné par le commandement des opérations spéciales.

Échanges de « bons procédés »

L’ouvrage des deux journalistes ne cache rien des turpitudes de certains agents. La défense des intérêts tricolores passe, de fait, parfois par l’exercice de « basses œuvres » dont le but est d’amadouer tel ou tel gouvernant local. Dans ce jeu à plusieurs bandes, les « honorables correspondants » corses jouent un rôle crucial. Plusieurs familles de l’île de Beauté ont développé un impressionnant réseau à travers l’Afrique où ils gèrent de nombreux casinos et boîtes de nuit. Et le lien qu’ils entretiennent avec le milieu permet parfois de « sous-traiter » des dossiers délicats, laissant aux services français la possibilité de nier toute implication directe de ses équipes.

Ces petits arrangements avec le droit, les services les justifient par l’importance que revêt le continent africain, tout à la fois pour la sécurité et l’indépendance de notre pays : qu’il s’agisse de débusquer les « foyers d’infection » islamistes de contrer les actions violentes qui se préparent, au Sahel, contre notre territoire ou de protéger les voies d’approvisionnement en matières premières, vitales pour nos industries. Autant d’enjeux qui autorisent, selon « nos chers espions » quelques entorses à la morale.

À lire l’enquête d’Antoine Glaser et Thomas Hofnung, on comprendra mieux que la cellule africaine de l’Élysée qui se réunit, chaque semaine, sous l’autorité de Franck Paris, un autre ancien de la « Boîte », ainsi que le secteur « N », au cœur de la DGSE (un département ne s’occupant que des affaires africaines), aient encore de beaux jours devant eux.

Baudouin Eschapasse

Source : Le Monde

(1) Nos chers espions en Afrique, Fayard, 235 pages, 19 €

 

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