Comme promis, nous vous proposons la seconde partie de la réflexion de l’Association pour la tolérance religieuse et le dialogue interreligieux (ATR/DI) sur la problématique de la réconciliation. En rappel, la première partie s’était appesantie sur les positions de quelques politiques et acteurs de la société civile. Cette partie-ci met l’accent sur les obstacles, les craintes compréhensibles de certains pans de la société burkinabè et l’importance du rôle des victimes et des ayants droit des violences en politique et des conflits intercommunautaires.

Le réalisme commande que l’on se rende à l’évidence que tous les Burkinabè ne sont pas partisans de la réconciliation nationale : il y en a qui qui estiment qu’il suffit que le droit soit dit par l’institution judiciaire de la façon la plus rigoureuse et le sort de la réconciliation nationale sera réglée grâce au temps ; lequel a, tôt ou tard, vient à bout de tout. Un deuxième groupe conditionne la réconciliation nationale au passage par la justice dite moderne. Autrement dit, une fois les vérités connues et les peines prononcées, on pourrait alors se réconcilier sur ces bases en principe saines.

Ces deux courants d’idées tirent leur légitimité du fait que les précédentes initiatives dans ce sens ont été des rendez-vous manqués. Il s’est d’abord agi du Forum de réconciliation nationale (FRN) ouvert le 11 février 1991, au moment où le pays avait opté pour le retour à l’Etat démocratique et libéral au terme de quatre (04) Etats d’exception (Comité militaire de redressement pour le progrès national, Conseil de salut du peuple I et II, Conseil national de la révolution et Front populaire) en une décennie. Aussitôt ouvert, il a été aussitôt fermé. Ce vrai-faux départ est consécutif au désaccord entre le pouvoir de l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail (ODP/MT) présidé par le Dr Bongnessan Arsène Yé (et ses alliés) dont le bras armé était l’Alliance pour le respect et la défense de la constitution (ARDC) d’une part et d’autre part la Coordination des forces démocratiques (CFD) regroupant les partis politiques de l’opposition politique et des organisations de la société civile avec pour tête de proue la Convention nationale des patriotes progressistes/Parti social-démocrate (CNPP/PSD) du Pr Joseph Ki-Zerbo. S’en est suivi l’organisation de la Journée nationale de pardon le 30 mars 2001. Cette manifestation résulte des recommandations du Collège de sages mis en place suite à la crise sociopolitique dans laquelle le pays a sombré au lendemain de l’assassinat du directeur de publication de l’hebdomadaire L’Indépendant et de ses trois (03) compagnons. Organisée sans avoir reçu l’accord ni l’adhésion de toutes les forces politiques et sociales au contraire du rapport du Collège de sages, elle ne pouvait avoir les retombées que l’on était en droit d’attendre.

Comme pour éviter de vivre la «prophétie» de l’adage selon lequel, «Il n’y a jamais deux sans trois», ceux qui nient la nécessité de la réconciliation nationale ou qui estiment qu’il faut le faire en passant par la justice dite moderne n’ont peut-être pas tort. Les partisans de ces deux camps se recrutent au sein du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP), parti politique majoritaire, des partis politiques qui lui sont alliés, de certaines organisations de la société civile…

Au-delà des craintes compréhensibles, peut-on faire objectivement l’économie de la réconciliation nationale ?

Soit, la question telle que posée comporte elle-même des éléments de réponse de manière sibylline mais il sied de passer en revue quelques facettes du contexte social, politique, communautaire et sécuritaire du Burkina Faso actuel avant de se faire une opinion qui, en tant qu’opinion, peut être désapprouvée et contredite mais qui aura le mérite d’avoir été exprimée par les citoyen(ne)s que nous sommes.

Ainsi, il est clair aux yeux de tous que le Burkina Faso de 2021 n’est pas, du point de vue politique, similaire à celui de 2001, encore moins à celui de 1991 : le personnel politique est resté à peu près le même mais les cartes ont été profondément rebattues.

En outre, la réconciliation nationale a été une des principales promesses de campagne du candidat Roch Marc Christian Kaboré qui, fort heureusement pour lui, a été réélu. A moins de vouloir renier ce qu’il a promis hier, il se doit de parvenir à réaliser sa promesse et de quitter, la tête haute, la magistrature suprême de son pays au terme de son second mandat. Dans ce sens, il est politiquement bienséant que ceux qui ont œuvré à ce qu’il soit réélu se convainquent (si ce n’est pas encore le cas) de la pertinence de sa promesse et qu’ils l’aident à la réaliser. La question ne devrait donc plus relever du principe mais simplement de la procédure afin de savoir comment cela se ferait.

Au-delà de la réconciliation nationale qui prendrait en compte les membres du dernier gouvernement du président Blaise Compaoré et des proches de ce dernier, il est une catégorie de citoyens dont on ne parle pas et qui ne parle pas non plus des violations des droits dont ils ont fait l’objet sous la Révolution démocratique et populaire (RDP) dirigée par le Conseil national de la révolution (CNR). Ce sont ceux que l’on qualifiait, à tort ou raison, de membres du Parti communiste révolutionnaire voltaïque (PCRV) clandestin. Nombre d’entre eux ont été contraints à la clandestinité, privés de bourses de l’Etat, licenciés de la Fonction publique ou des sociétés publiques et parapubliques, bloqués dans leurs carrières, interdits de postuler pour l’acquisition des villas construites sous la RDP ou d’emprunter les bus de la société d’Etat des transports en commun X9… Résultat :   certains sont tombés dans la déchéance avec des conséquences peu enviables pour leur progéniture. De nos jours, on retrouve ces parias de la RDP dans les mouvements de défense des humains les plus en vue, les centrales syndicales (et les syndicats autonomes) les plus mordantes, les ONG de lutte contre la corruption, les organisations de lutte contre la cherté de la vie…. Ces personnes n’étaient certes pas des enfants de chœur mais la légitimité (ne parlons pas de légalité) du sort qui leur a été réservé était discutable (et c’est un euphémisme).

A l’échelle du rapport de certaines communautés avec les institutions étatiques, la dégradation s’est traduite depuis 2015 par les attaques armées contre des symboles de l’Etat avec pour justification la lutte contre les injustices (redistribution inique des richesses nationales dont certaines régions sont particulièrement l’objet, stigmatisation et/ou massacres de certaines communautés, etc.) et le délitement religieux et moral de la société. Il faut y ajouter les attaques armées contre les civils (chefs religieux de toutes confessions, chefs traditionnels et coutumiers des différentes communautés, hommes, femmes, enfants, commerçants, agents publics, éleveurs, agriculteurs…). Le bilan humain de cette situation se chiffre à des milliers de morts. S’il n’y a pas de doute qu’il faut opposer aux agresseurs armés des ripostes armées sinon supérieures du moins égales, il n’en demeure pas moins que la réponse armée doit être un des moyens et pas une des fins, encore moins la fin ! Autrement dit, il faut dissuader militairement et judiciairement les éléments extrémistes tout en œuvrant à parvenir à réconcilier les autres franges de la population les unes avec les autres par les voies du dialogue. En tout état de cause, le but ultime de toutes les initiatives doit la réconciliation nationale.

Le débat justice pénale-justice transitionnelle/réparatrice

La quasi-unanimité des Burkinabè semblent, comme nous l’avons déjà affirmé, favorables à la réconciliation. La principale pomme de discorde réside dans le choix d’un des éléments de l’alternative suivante : de la justice pénale et de la justice transitionnelle/réparatrice laquelle serait convenable pour une réconciliation vraie, sincère, honnête et durable entre les Burkinabè ?

Les fervents défenseurs de la justice transitionnelle/réparatrice qui, pour la plupart, se recrutent dans les milieux proches de l’ancien président Blaise Compaoré craignent, en réalité, que l’institution judiciaire soit utilisée contre eux à des fins de règlement de comptes et au mépris d’une administration orthodoxe et indépendante de la justice. A n’en pas douter, c’est une crainte bien compréhensible car en dépit des exégèses qui nous sont servies quotidiennement, le droit est généralement le fidèle reflet des rapports des forces dans l’arène sociale.

En retour, les partisans d’une justice implacable contre les instigateurs, les auteurs et les complices de violences en politique sont des citoyens, des acteurs sociaux, des militants politiques plus ou moins proches du Mouvement du peuple pour le progrès (MPP) qui soupçonnent et qui accusent même les chantres de la justice transitionnelle/réparatrice de vouloir ainsi échapper à la justice pénale. A leurs yeux, ce serait là une prime à l’impunité dont souffre déjà le pays.

Toutefois, pour compréhensible que puisse être la position du camp de la justice transitionnelle/réparatrice, cette attitude peut se révéler spécieuse car une fois que la justice est saisie ou se saisit d’un cas de crime, l’action publique ne peut être interrompue que par le ministère public.  Peut-être que le Forum de la réconciliation nationale (FRN) saura construire des passerelles avec l’institution judiciaire de sorte que ce qui sera fait ne soit pas entaché d’illégalité.

Il sied plutôt de se battre, en prenant l’opinion publique nationale et internationale à témoin, pour qu’en cas de procès les choses soient faites dans les règles de l’art ; du reste, les magistrats ont, d’ailleurs, tout à gagner en conduisant les éventuels procès de façon professionnelle car ils font déjà l’objet de tirs croisés venant de toutes les composantes de l’opinion et dénonçant la gestion des dossiers judiciaires.

Avec ceux qui arguent qu’il ne peut y avoir un épilogue de l’impunité que par le biais de la justice classique, il faut convenir que dans un Etat de droit démocratique et libéral c’est le principe de base.  Mais à l’opposé de leur argument, il faut noter que dans l’histoire (surtout récente) du Burkina Faso, les procédures et les verdicts de cette justice ont souvent été, non sans raison d’ailleurs, sujet à caution. En outre, s’il est certain que des magistrats intègres il en existe dans cette institution, il n’y a point de doute que des indélicats on en trouve aussi. Enfin, le personnel judiciaire est quasiment le même que celui d’avant l’insurrection des 30 et 31 octobre 2021 et les contradictions qui ont traversé la société burkinabè a également « irradié » le corps de la magistrature; ce qui, subséquemment et peut-être inconsciemment, peut influer de façon non objective sur certaines décisions de justice.

La clé de voûte de la réconciliation nationale : le sort des victimes, de leurs ayants droit et des blessés des violences en politique

Par-delà les polémiques, parfois oiseuses, entre les pour et contre la voie judiciaire classique comme passage obligé pour aller à la réconciliation nationale, la voix des victimes, de leurs ayants droit et des blessés des violences en politique de toute l’histoire du Burkina Faso et singulièrement de l’insurrection et du coup d’Etat des 15 et 16 septembre 2015 doit être entendue. Ce qui se fera en leur nom, pour eux mais sans eux se révélera être contre eux. Commençons donc par-là en leur permettant d’adopter une position qui, tout en prenant appui sur les défis structurels auxquels le pays fait face, ne soit pas le fruit de la pression d’un ou de l’autre des camps qui, en réalité, sont tous mus par des motivations qui ne sont toujours pas conformes ni à l’intérêt général, ni à celui des premiers intéressés.

Au titre de ces défis, on peut citer le conflit quotidien que les Burkinabè entretiennent envers eux-mêmes à travers les infractions des lois et règlements que la plupart connaissent. Par exemple, le fait de ne pas respecter les règles élémentaires du code de la route (feux tricolores, rue à sens unique, port obligatoire du casque pour les motocyclistes, etc.) est un cas pathétique. S’agissant du terrain politique, les choses se passent de commentaires : la rue, les ondes des médias traditionnels, les colonnes des médias écrits, les espaces des médias sociaux et des réseaux sociaux ressemblent plus à des champs de batailles dignes de celles des gladiateurs (mais au contraire de ces derniers, il n’y a presque pas de règles ou lorsqu’il y en a elles ne sont nullement respectées) qu’à des lieux de convivialité, leur vocation initiale. Au plan religieux, les choses ne sont guère fondamentalement différentes de la sphère politique tant au niveau de la radicalité des discours qu’à celui des canaux de communication utilisés. De nouveaux prêcheurs, singuliers dans leurs comportements et dans leurs propos, qui exploitent à la perfection les anciens et les nouveaux supports de communication incitent (ouvertement ou subtilement) leurs coreligionnaires à construire des cloisons entre les confessions ou parfois même au sein des confessions religieuses ; seule voie supposée mener au paradis. Concernant les relations interethniques, elle semble lointaine la période où, malgré les préjugés et les stéréotypes que les différentes communautés collaient les unes sur les autres mais sans méchanceté particulière, l’harmonie sociale et l’entente fraternelle étaient de mise. De nos jours, les conflits armés intra et intercommunautaires sont malheureusement légion sur fond de repli identitaire, de revendications d’une meilleure gouvernance du pays, de réaction aux actes de stigmatisation, de représailles suite aux actes terroristes…

De telles réalités exigent un sursaut de la part de tous. Si les différentes formes de justice (justice classique et justice transitionnelle ou réparatrice) peuvent servir de moyens pour reconstruire des relations apaisées, elles ne sont pas des fins en soi au service des règlements de comptes personnels ou politiques ou pour permettre à d’aucuns d’échapper à bon compte aux peines qu’ils méritent pour avoir commis ou été complices de crimes de sang. La fin ultime de toute action dans ce sens doit concourir, dans la tolérance, à réaliser le rêve partagé par les Burkinabè de l’avènement de l’État-nation en soldant, une bonne fois pour toutes, le passif que constituent les violations des droits humains à travers la violence en politique et les conflits intercommunautaires.

La tolérance dont il est question ici n’est pas à confondre avec le laxisme, la complaisance, la condescendance. Elle est synonyme de respect et d’acceptation de l’expression des spécificités et des droits d’autrui. Ointe par des valeurs sociétales telles que la tolérance, l’intégrité, la solidarité et l’équité, la démarche vers la réconciliation nationale devra éviter de chercher à réinventer entièrement la roue. Dans cette optique, elle pourrait capitaliser sur les recommandations et les conclusions du rapport du Collège de sage sur les crimes impunis de 1960 à juillet 1999 mis en place au lendemain de l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois (03) compagnons. Cependant, cela ne doit pas éluder la plus-value inestimable que les recherches en sciences sociales (déjà effectuées ou à commanditer) peuvent apporter à l’accomplissement de cette œuvre titanesque. En attendant, les multiples audiences qu’accorde le ministre d’État Zéphirin Diabré peuvent participer d’une simple prise de contact avec les acteurs dont la contribution sera d’une valeur ajoutée certaine dans l’accomplissement de sa mission.

Pour le Bureau national,

Le Président

Issaka SOURWEMA

Dawelg Naaba Boalga

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