Après les heures de confusion ayant suivi le putsch et la démission du président malien, le monde entier attendait un visage, un homme à qui relier les évènements de ces derniers jours. L’élu est le colonel Assimi Goita. Jusque-là chef des forces spéciales de l’armée malienne dans le centre du pays, celui qui a dirigé le putsch, qualifié par l’opposition de « victoire du peuple », se trouve néanmoins dans une position particulière. Acclamé à l’intérieur des frontières de son pays et isolé en dehors, alors même que les problèmes sécuritaires, eux, n’ont pas démissionné, Assimi Goita a plus d’un défi à relever.

Colonel Assimi Goita, nouvel homme fort du Mali

Etait-ce trop compliqué, trop tôt, ou une responsabilité trop lourde à assumer pour le colonel Assimi Goita ? On ne saurait le dire. Mais, alors que le monde recherche un nom à qui attribuer la direction du putsch du 18 août, le visage de celui qui a annoncé, plus tard, être à la tête de la junte l’ayant mené avait déjà été vu de tous. Lors de l’annonce, dans la nuit du mardi, de la création du comité national pour le salut du peuple (CNSP) ayant poussé le président Ibrahim Boubacar Keïta à la démission, le nouvel homme fort malien était bel et bien présent. Il attendra 24 heures pour se révéler aux Maliens et au monde. « Je me présente : je suis le colonel Assimi Goita, le président du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ». Pour une situation électrique, le ton est simple et détendu.

Finalement, le silence et la rétention d’information semblent avoir été calculés, tout comme la réalisation et la gestion de ce putsch. De quoi annoncer la couleur et jeter un peu plus de lumière sur le profil discret d’Assimi Goita ?

L’antithèse parfaite de Amadou Haya Sanogo

La première chose qui frappe chez Assimi Goita est la forte différence qu’il affiche avec le dernier putschiste ayant déposé un président malien avant lui : Amadou Haya Sanogo. Là où le meneur présumé (le procès est toujours en cours, Ndlr) du putsch de 2012 semblait peu charismatique, l’actuel homme fort du Mali affiche une aura complètement différente. Il suffit d’écouter les déclarations recueillies sur lui par la plupart des médias couvrant la situation malienne. L’évocation du profond respect dont il est l’objet au sein de l’armée revient souvent. Même son parcours semble être une négation totale des états de services affichés par le capitaine Amadou Haya Sanogo qui, lorsqu’il avait déposé le président Amadou Toumani Touré, n’était plus qu’un professeur d’anglais au prytanée militaire de Kati.

D’après les seules informations disponibles jusque-là, le colonel Assimi Goita a un pedigree différent. Agé d’une quarantaine d’années et issu justement du Prytanée militaire de Kati, où sont formés les meilleurs éléments de l’armée, il est diplômé de l’École interarmes de Koulikoro, située à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. Ayant participé à de nombreuses opérations à l’étranger, il était jusque-là le patron des forces spéciales maliennes basées dans le centre du pays, une région minée depuis 2015 par des violences djihadistes et intercommunautaires. Toutes les personnes interrogées à son sujet le décrivent comme un homme très rigoureux et bien au fait du fonctionnement des mécanismes internationaux.

Toutes les personnes interrogées à son sujet le décrivent comme un homme très rigoureux et bien au fait du fonctionnement des mécanismes internationaux.

Cette information, très importante, vient marquer une autre différence majeure avec Amadou Haya Sanogo. Là où ce dernier annonçait, dans ce qui relevait plus du sketch improvisé, être désormais à la tête du Mali, Assimi Goita, lui, a pris son temps. Il a obligé le président Ibrahim Boubacar Keïta à annoncer lui-même sa démission à la télévision nationale avant que le colonel à l’origine du putsch ne se dévoile au monde.

A ce propos, les différentes étapes et la succession des évènements laissent penser que le putsch a été préparé de longue date. Pour s’assurer sa réussite, une base d’officiers supérieurs, entourant Assimi Goita lors de chaque apparition, semble avoir été formée avec soin. Le putsch a été beaucoup moins violent que celui de 2012 et l’arrestation du président s’est faite de la manière la moins brusque possible. Ce qui fait du colonel un fin stratège, ou tout au moins un homme prévoyant. Pour le moment, en tout cas, rien ne semble perturber ses plans.

Héros au Mali, isolé hors de ses frontières

Très tôt, l’opposition a accueilli le putsch comme une « victoire du peuple ». Dans cet ordre d’idée, le mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques (M5-RFP), qui réclame depuis des mois la démission du président Ibrahim Boubacar Keïta, a annoncé qu’il organiserait une marche pour « rendre hommage à la lutte héroïque du peuple malien ». Pour certains analystes, la junte militaire a collaboré ou a été soutenue par les foules de l’imam Mahmoud Dicko. Pour le moment, rien ne lie le colonel Assimi Goita au M5-RFP. Il faut néanmoins préciser que l’opposition s’est montrée disposée à accompagner la transition aux côtés des militaires. Seulement, là encore, il n’y a rien de très étonnant. La cote de popularité du président déposé était si faible que sa démission a provoqué par endroits des scènes de liesse.

Pour certains analystes, la junte militaire a collaboré ou a été soutenue par les foules de l’imam Mahmoud Dicko.  Pour le moment, rien ne lie le colonel Assimi Goita au M5-RFP.

Finalement, à l’intérieur des frontières maliennes, Assimi Goita a l’image d’un héros. Pour le peuple malien, il a rendu possible ce que réclamait la rue depuis de nombreuses semaines, à savoir un départ d’Ibrahim Boubacar Keïta et un changement de régime. Au sein de l’armée également, Assimi Goita bénéficie d’un plébiscite. Ses frères d’armes comptent sur lui pour redonner à l’armée de véritables moyens pour lutter contre la menace terroriste, maintenant que les politiciens détournant les fonds dédiés à cette mission sont écartés.

Ses frères d’armes comptent sur lui pour redonner à l’armée de véritables moyens pour lutter contre la menace terroriste, maintenant que les politiciens détournant les fonds dédiés à cette mission sont écartés.

Seulement, rien n’est jamais aussi simple. Sachant que l’armée qui avait déjà beaucoup de mal à assurer les tâches militaires doit désormais ajouter les fonctions politiques à son agenda, une pression de la menace terroriste pourrait faire souffler un vent de désillusion terrible sur le pays. Ensuite, la défense contre la menace terroriste dépend fortement de l’aide apportée par la communauté internationale. Déjà, cette dernière, malgré les précautions prises par les putschistes pour éviter de provoquer une levée de boucliers, a fortement condamné l’éviction d’un chef d’État régulièrement élu.

Les États-Unis, l’Union européenne (UE) et l’Union africaine (UA) ont fortement condamné le coup d’État et réclamé la libération « immédiate » du président Ibrahim Boubacar Keïta. De son côté, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), récente médiatrice dans la crise malienne, a réagi très fermement. L’organisation a suspendu le Mali de tous ses organes de décision « avec effet immédiat » et décidé de fermer toutes les frontières terrestres et aériennes avec le Mali. Tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali ont également été arrêtés.

Tous les flux et transactions économiques, commerciales et financières entre les pays membres de la CEDEAO et le Mali ont également été arrêtés.

La communauté a également « demandé la mise en œuvre immédiate d’un ensemble de sanctions contre tous les putschistes et leurs partenaires et collaborateurs puis dépêché une délégation de haut niveau pour assurer le retour immédiat de l’ordre constitutionnel ». La France, qui dispose de plus de 5000 soldats dans la région, a condamné le coup d’État dans un communiqué du ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian. Mike Pompeo, le secrétaire d’État américain a déclaré dans un communiqué que « les États-Unis condamnaient fermement la mutinerie du 18 août au Mali comme ils condamneraient toute prise du pouvoir par la force ».

A première vue, malgré une maitrise relative du fonctionnement des mécanismes internationaux, Assimi Goita semble bien seul hors des frontières du Mali et ne dispose visiblement d’aucun moyen de permettre à son mouvement d’obtenir une légitimité à la tête du Mali. Peut-être, l’union sacrée entre la junte militaire et l’opposition permettra-t-elle d’adoucir les positions de la communauté internationale. Pour l’opposition malienne, les organisations internationales devraient revoir leurs envies de sanctions envers les putschistes, car c’est essentiellement le peuple qui en pâtirait.  « Le M5-RFP invite, à cet effet, la CEDEAO, l’Union africaine et la communauté internationale dans son ensemble à mieux appréhender la situation au Mali en dehors des questions de sanction et à soutenir le peuple malien dans sa quête de paix, de réconciliation nationale, de démocratie véritable et de mieux vivre », peut-on lire dans le premier communiqué rendu public par l’opposition après le putsch. De quoi retirer une épine du pied d’Assimi Goita, assuré au moins du soutien des Maliens.

S.A / Agence Ecofin

 

 

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