C’était un point d’ancrage, pour moi, au Burkina Faso. Nous nous étions connus au tout début de la décennie 1990. Le pays n’était pas encore remis de la « Révolution » et pas plus de la « Rectification ». Il était encore corseté par ses vieilles habitudes et une raideur que lui avait été imposée par des strates successives de régimes militaires, des plus « réacs » aux plus « progressistes ».

La vie à Ouaga, à Bobo et ailleurs n’était pas très drôle. Plus encore pour les jeunes générations. Dans ce contexte politico-social rigide, Moustapha Thiombiano sera un catalyseur. Il avait rassemblé autour de lui quelques jeunes gens, garçons et filles, qui voulaient rompre avec une certaine façon d’être, une nouvelle génération : ce sera la génération Horizon FM.

Il faut avoir vécu ces années-là pour comprendre ce que pouvait représenter Horizon FM il y a trente ans, au moment de sa création (30 décembre 1990). Le nec plus ultra radiophonique était alors le puissant poste récepteur d’ondes courtes qui permettait d’écouter RFI et Africa n° 1. Laabli Moustapha Thiombiano, avec beaucoup de culot et d’enthousiasme, peu de moyens financiers et techniques, formant lui-même ses premiers collaborateurs, va lancer Horizon FM. Musique, débats, proximité. Ce seront les trois mots-clés qui vont faire le succès de cette station. Et Ouaga va rester branché sur 104,4 sur la bande FM avant que Bobo, le 3 janvier 1992, ne vienne compléter le paysage radiophonique sur 102,7.

La passion pour cette station sera telle que les distributeurs de postes récepteurs seront assaillis de demandes. On leur réclamait désormais des « postes avec Horizon FM dedans ». Le phénomène sera contagieux. Voitures officielles, magasins, petits commerces, particuliers, entreprises, hôtels… tous étaient branchés 104,4 ou 102,7.

La réussite de cette étonnante expérience dans un pays où la communication était encore largement verrouillée par l’Etat a été liée à la personnalité de son promoteur, Moustapha Thiombiano. Les enfants, qui participaient nombreux à ses émissions, le connaissaient mieux sous le surnom de « Tonton Thiombiano ».

Son itinéraire avait été d’autant plus chaotique qu’il aimait « l’agrémenter » de séquences inédites. Élevé par Maurice Yaméogo, le premier président de la République de Haute-Volta, il était très proche de son fils, Hermann Yaméogo, avec qui il fera près d’un an de prison sous le régime du général Sangoulé Lamizana suite à une provocation de potache. Une expérience qui calmera ses ardeurs politiques mais l’identifiera comme un « proche des Yaméogo », pas toujours en odeur de sainteté (et c’est un euphémisme) du côté de la présidence du Faso.

Thiombino choisira alors l’Amérique du Nord où, dira-t-il, bâtissant sa légende, il « fera du fric » en plaçant des polices d’assurance aux… Esquimaux de l’Alaska, jouant de l’étrangeté d’un Africain sahélien sur fond de steppe enneigée. Après Vancouver, au Canada (il affirmait avoir la nationalité canadienne), ce sera la Californie. Il disait qu’il « avait beaucoup de petites copines à Hollywood » où il était « plus connu qu’à Ouaga ». Ce qui est certain c’est qu’il avait eu et qu’il aura, par la suite, beaucoup de « petites copines » partout ailleurs ; il aimait raconter qu’il était devenu père à quinze ans et sept mois. Et quand on le charriait sur son physique, il disait qu’il « était beau parce qu’il a eu des belles filles », donnant ainsi raison à Gérard Depardieu qui disait : « Les femmes se foutent de savoir si un homme est beau. Ce qui compte pour elles, c’est la beauté des femmes qu’il a eues ».

C’était le show-business qui l’attirait. Il s’y adonnera à fond. Aux États-Unis, il multipliera les contacts avec les meilleurs artistes du pays (il citait Marvin Gaye et Stevie Wonder, excusez du peu !), jouera de la guitare à droite et à gauche (mais il était aussi batteur), réalisera quelques disques avec son groupe, découvrira l’impact des radios musicales.

Il avait quitté la Haute-Volta ; il était revenu au Burkina Faso. Après la fin de l’épisode révolutionnaire, bonjour la « Rectification ». C’est alors qu’il va pouvoir se lancer dans l’aventure de la radio FM (je rappelle qu’en France, les « radios libres » puis les radios privées sur la bande FM datent seulement des années 1980). Ce sera Horizon FM. Il formera les premiers animateurs, recrutés au feeling. Il leur fallait être polyvalent. « Il faut tout faire : l’animation, la technique, l’administration. Il faut créer, innover, rechercher tous azimuts des annonceurs, leur proposer des émissions motivantes pour un éventuel sponsoring », me disait alors Raïssa Kaboré qui était directrice commerciale tout en animant la tranche horaire matinale : « Bonjour le jour ». A 13 h et à 19 h, Horizon FM reprenait les journaux de la radio nationale. Les animateurs ne manquaient pas ; les journalistes, eux, faisaient encore défaut. La liberté de l’info sur les ondes également.

Horizon FM réussira parce que c’était une radio différente. Avec un autre son, une autre façon d’être. Véritablement la « fréquence magique » qu’elle revendiquait être. Elle savait, surtout, être en proximité avec ses auditeurs grâce à des jeux radiophoniques, à l’animation en langue mooré, aux cours d’anglais. Grâce aussi à la musique largement diffusée. Avec Mustapha et Raïssa, à Ouaga et ailleurs quand Horizon FM aura essaimé un peu partout en province, j’avais pris l’habitude de participer à des débats, des tables rondes, des entretiens… où le ton était toujours libre.

Horizon FM servira de carte de visite à Thiombano. Il fera cent mille autres choses, notamment de la télé. Jamais, tout à fait, jusqu’au bout. C’était un innovateur ; pas vraiment un entrepreneur. Mais, à l’occasion, quand nous prenions un verre au bar de l’hôtel Silmandé, il aimait à emprunter une guitare et à vous prodiguer quelques notes, renouant avec ses passions d’antan. Aux débuts de Horizon FM, il me disait : « La radio c’est gai, mais c’est fou ». Il était gai. Il était fou.

Jean-Pierre Béjot,
Fondateur de La Dépêche Diplomatique
La Ferme de Malassis (France) 7 avril 2020

 

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