Dr. Kouliga NIKIEMA, Enseignant à l’UFR / SJP de l’Université Ouaga II Secrétaire national aux affaires juridiques et institutionnelles de l’UPC

C’est une tribune que l’Union pour le progrès et le Changement a fait parveniez à notre rédaction. Elle jette un regard critique sur la gestion de la crise sanitaire au regard de la loi fondamentale du Burkina. L’intégralité de l’analyse.

Introduction

Depuis le déclenchement de la pandémie du covid-19 avec la découverte des premiers cas le 09 mars 2020, de nombreuses mesures sont prises pour la contrer. Ces mesures vont de la mise en quarantaine de plusieurs localités, notamment toutes les villes dans lesquelles un cas de COVID-19 a été confirmé, à la fermeture des frontières terrestres et aériennes, la fermeture des marchés et yaars, l’interdiction de regroupements de plus de 50 personnes, la fermeture des écoles, l’instauration d’un couvre-feu sur tout le territoire national de 19 heures à 5 heures du matin, l’état d’alerte sanitaire. La plupart des mesures prises dans la lutte contre la pandémie ont la particularité de porter atteinte ou de restreindre des droits et libertés consacrés par la Constitution et les lois.

L’ensemble des actes ainsi pris que l’on peut qualifier de règlementation de crise, mérite une analyse juridique pour mettre en lumière certaines insuffisances. Il s’agit notamment des décrets pris par le Président du Faso mettant en cause certains droits et libertés fondamentaux.

Dans un État de droit, même en cas d’urgence, les mesures prises par les autorités doivent respecter un minimum d’exigences juridiques dans le fond et la forme. On peut comprendre que dans l’imprévisibilité et la psychose, les autorités aient voulu riposter rapidement et dans tous les sens. Cependant, gouverner c’est prévoir et la règlementation en vigueur doit être respectée, même en temps de crise, dans la prise de mesures susceptibles de porter atteinte à des droits fondamentaux. Il y va de l’efficacité de la gestion de la crise et des conséquences néfastes qui pourraient en résulter. D’ailleurs ces mesures prises à la hâte  ont du mal à prouver leur efficacité.

L’instauration d’un couvre-feu

La mesure sur le couvre-feu découle d’un décret du Président du Faso en date du 21 mars 2020.  Ce décret signé par le Président du Faso a pour seul  visa : la Constitution. Ce visa signifie que c’est  la constitution qui donne le droit au Président du Faso de prendre cette mesure. Il faut aller consulter les dispositions de la constitution pour se faire une idée des dispositions qui auraient pu être considérées pour la prise de cette décision.

Dans la constitution, les droits et libertés font l’objet du titre I : DES DROITS ET DEVOIRS FONDAMENTAUX (article 1 à 30). Comme il s’agit de trouver dans la Constitution ce qui fonderait le pourvoir du Chef de l’État à instaurer par décret un couvre-feu sur l’étendue du territoire national, il faut parcourir les dispositions du Titre III  qui sont consacrées au Président de la république.

Ainsi, l’article 57 de la Constitution dispose que « les actes du Président du Faso autres que ceux prévus aux articles 46, 49, 50, 54 et 59 sont contresignés par le Premier ministre et, le cas échéant, par les Ministres concernés.

Le décret présidentiel du 21 mars 2020 n’est pas contresigné ; ni par le premier ministre, ni par aucun autre ministre. On en conclut que le décret n’est pas pris sur le fondement de l’article 57 de la constitution. Étant signé par le Président du Faso seul, il faut aller vérifier les dispositions des articles 46, 49, 50, 54 et 59 de la Constitution.

A la lumière de ces dispositions constitutionnelles, les actes que le Président du Faso signe seul, interviennent dans les cas suivants :

  • nomination du premier ministre (art. 46) ;
  • décision de soumettre un projet de loi au référendum (art. 49) ;
  • dissolution de l’Assemblée nationale (art. 50) ;
  • exercice du droit de grâce (art. 54) ;
  • exercice de ses pouvoirs exceptionnels lorsque les institutions du Faso, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements sont menacées d’une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu (art. 59).

Il est évident que le décret portant instauration du couvre-feu signé par le Président du Faso tout seul, n’est pas fondé sur l’article 57 de la constitution ci-dessus. Est-il pris sur le fondement de l’article 59 de la Constitution, surtout que le couvre-feu a été porté à la connaissance du peuple burkinabè par un message à la nation ?

L’article 59 de la constitution dispose, in extenso, que « lorsque les institutions du Faso, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements sont menacées d’une manière grave et immédiate et/ou que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président du Faso prend, après délibération en Conseil des ministres, après consultation officielle des présidents de l’Assemblée nationale et du Conseil constitutionnel, les mesures exigées par ces circonstances. Il en informe la Nation par un message. En aucun cas, il ne peut être fait appel à des forces armées étrangères pour intervenir dans un conflit intérieur. L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice des pouvoirs exceptionnels ».

L’esprit et la lettre de cette disposition constitutionnelle ne sauraient justifier le décret instaurant le couvre-feu du 21 mars 2020. Dans le cas d’espèce, nous sommes en matière d’urgence sanitaire régie par les articles 66 et 67 du code de la santé publique. Le couvre-feu est une mesure restrictive de droits et libertés fondamentaux garantis par des textes fondamentaux et protégés par les dispositions constitutionnelles. Or ce domaine relève de la loi.

Ainsi, l’article 101 de la Constitution dispose que  la loi fixe les règles relatives à la citoyenneté, les droits civiques et l’exercice des libertés publiques. Les droits et libertés consacrés par la constitution ne peuvent donc faire l’objet de restriction, voire d’annulation,  que conformément à la loi. Le même article 101 dispose également que l’état de siège et l’état d’urgence sont du ressort de la loi.

L’état de siège et l’état d’urgence sont des situations exceptionnelles qui peuvent justifier que des restrictions soient apportées aux droits et libertés comme c’est le cas actuellement.

Il se trouve que l’état de siège et l’état d’urgence sont prévus à l’article 58 de la constitution et régis par la loi n°023-2019 du 14 mai 2019 portant réglementation de l’état de siège et de l’état d’urgence.

Cette loi dispose, à son article 4, que « Létat de siège est un régime exceptionnel de police qui a pour effet de transférer aux autorités militaires l’exercice des pouvoirs de police.

L’état de siège peut être déclaré sur tout ou partie du territoire en cas de péril imminent pour la nation résultant notamment d’une insurrection armée ou d’une invasion étrangère ».

L’article 10 de la même loi dispose que « L’état d’urgence est une situation de crise permettant aux autorités administratives de prendre des mesures exceptionnelles en matière de sécurité et qui sont susceptibles de porter atteinte aux droits et libertés des personnes.

L’état d’urgence peut être déclaré sur tout ou partie du territoire, soit en cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public, soit en cas d’événements présentant le caractère de calamité publique de par leur nature et leur gravité ».

A supposer que le décret portant instauration du couvre-feu ait visé concomitamment les articles 58 (relatif l’état de siège et l’état d’urgence) et l’article 59, il aurait fallu d’abord déclarer l’état d’urgence ou l’état de siège avant de décréter le couvre-feu comme étant une mesure entrant dans le cadre de l’exécution du décret portant état d’urgence ou état de siège ; autrement ce décret instaurant le couvre-feu est sans base légale.

Si c’est sur le fondement de l’article 59 de la constitution que le décret portant instauration du couvre-feu a été pris, il y a également problème car il porte atteinte à des droits et libertés or une telle atteinte n’est possible que par la loi telle que prévu à l’article 101 de la Constitution. Une telle mesure intervenant dans le domaine de la loi ne saurait avoir lieu que sur autorisation du parlement par voie d’habilitation ou en exécution d’un acte règlementaire ayant décrété l’état de siège ou l’état d’urgence. Le décret du 21 mars 2020 instaurant le couvre-feu manque de base légale. Il aurait fallu d’abord décréter l’état d’urgence.

En rappel, la mesure pratiquée au Burkina depuis un certain temps est l’état d’urgence du fait de l’insécurité. Déclaré le 31 décembre 2018 pour compter du 1er janvier 2019 dans 14 provinces, il a duré 12 jours et a fait l’objet de plusieurs prorogations. La dernière, court depuis le 13 janvier 2020 pour 12 mois. Cette prorogation emporte, pour sa durée, application des articles 13 à 16 de la loi n°023-2019/AN du 14 mai 2019 portant règlementation de l’état de siège et de l’état d’urgence au Burkina Faso. Il s’agit de mesures de nature à porter atteinte à l’exercice des droits et libertés des individus telles que le couvre-feu, l’interdiction des regroupements, etc. L’examen de ces dispositions montre bien qu’elles sont dédiées à la lutte contre l’insécurité alors que l’état d’urgence, selon sa définition,  peut être justifié en cas d’événements présentant le caractère de calamité publique de par leur nature et leur gravité. N’est-ce pas le cas du COVID 19 ?

Le décret du Président instaurant le couvre-feu ne vise que la Constitution. Il ne vise pas la loi portant organisation de l’état d’urgence et l’état de siège. Or, il est une évidence que la Constitution ne fonde pas ce pouvoir.

L’état d’alerte sanitaire

Le Gouvernement, par décret n°2020-239 du 30 mars 2020, a décrété l’état d’alerte sanitaire sur le fondement de la loi 23/94/ADP du 19 mai 1994 portant Code de la santé publique. Ce décret n’est pas non plus à l’abri d’une illégalité aberrante car son domaine d’application pose problème.

En effet, en matière d’urgence sanitaire, ce sont précisément les articles 66 et 67 du code de la santé publique qui sont applicables.

L’article 66 dispose que «En vue d’enrayer tout danger de propagation des maladies transmissibles, il pourrait être pris un décret sur proposition du Ministre chargé de la Santé, instituant l’état d’alerte sanitaire dans une localité ou une région ; dans ce cas, des mesures obligatoires d’hygiène et de prophylaxie sont appliquées durant une période déterminée et renouvelable au besoin ».

L’article 67 dispose que «Toute infraction à ces mesures sanitaires est passible d’une amende de Cinq Mille (5 000) à Trente Mille (30 000) francs CFA et d’un emprisonnement de cinq (5) à quinze (15) jours ou de l’une de ces deux peines seulement ».

Il se trouve que ce décret qui institue l’état d’alerte sanitaire, situation qui justifie la prise de mesures adéquates, a été adopté plus de neuf (09) jours après l’adoption du décret instaurant le couvre-feu. Un fait qui démontre encore une fois, l’illégalité du décret instaurant le couvre-feu car on peut bien se demander ce qui a bien pu justifier l’instauration d’un couvre-feu à une période où il n’y avait pas d’alerte sanitaire déclarée ?

A la lecture des articles 66 et 67 du code de la santé publique, ce texte ne peut servir de base juridique suffisante au décret instituant un état d’alerte sanitaire au regard de son champ d’application étendu au territoire national, encore moins justifier un couvre-feu.

En effet, sur le plan matériel, l’article 66 du code de santé publique prévoit uniquement des mesures de nature sanitaire (hygiène et prophylaxie) dans le cadre de l’état d’alerte sanitaire. Par conséquent, le décret instaurant le couvre-feu qui pourrait viser à éviter la propagation de l’épidémie à COVID-19, ne peut y trouver son fondement. Pour qu’une mesure rentre dans le champ d’application de l’article 66, elle doit être elle-même de nature sanitaire et non se contenter de sa finalité qui pourrait être d’ordre sanitaire. Le décret instaurant le couvre-feu, outre le fait qu’il soit pris avant l’institution de l’état d’alerte sanitaire donc ne peut pas s’y référer, n’est pas de nature sanitaire car portant atteinte à des droits et libertés fondamentaux. Il est triplement injustifié.

Sur le plan spatial (géographique), l’état d’alerte sanitaire ne peut être décrété que pour une localité ou une des treize régions du Burkina Faso et non pas sur toute l’étendue du territoire national. L’article 66 du code de santé publique est très clair en disposant qu’«il pourrait être pris un décret sur proposition du Ministre chargé de la Santé, instituant l’état d’alerte sanitaire dans une localité ou une région ».

Par conséquent le décret n°2020-239 du 30 mars 2020 instituant l’état d’alerte sanitaire n’est pas conforme au code de la santé publique. Le décret instaurant le couvre-feu n’est ni conforme au code de santé publique, ni conforme à la Constitution ou à une autre disposition légale.

La mise en quarantaine des villes

Par décret n°2020-240 du 30 mars 2020, les villes ayant au moins un cas positif de COVID-19 ont été mises en quarantaine. En application de ce décret, un arrêté interministériel n°2020-117 fixe les conditions de sortie et d’entrée dans les villes mises en quarantaine.

Le chapitre V du titre I du code de la santé publique est consacré à la lutte contre les épidémies. L’article 66, tel que rappelé plus haut, dispose que :«En vue d’enrayer tout danger de propagation des maladies transmissibles, il pourrait être pris un décret sur proposition du Ministre chargé de la Santé, instituant l’état d’alerte sanitaire dans une localité ou une région ; dans ce cas, des mesures obligatoires d’hygiène et de prophylaxie sont appliquées durant une période déterminée et renouvelable au besoin ».

C’est donc sur la base de cette disposition que des mesures sont prises telle la fermeture des marchés, des restaurants, etc. Conformément à ce texte, les mesures concernées sont prises pour un temps donné sous réserve de renouvellement.

On peut bien se poser la question de savoir quel rapport il y a entre l’état d’alerte sanitaire et l’état d’urgence. La définition de l’état d’urgence laisse voir qu’il peut être décidé  « en cas d’événements présentant le caractère de calamité publique de par leur nature et leur gravité ». La pandémie du COVID-19 n’entre-t-elle pas dans les cas prévus d’ouverture de l’état d’urgence ? Dans tous les cas, il est évident que les mesures susceptibles d’être prises et qu’énumère l’article 13 de la loi sur l’état d’urgence sont adaptées au danger de l’insécurité et non au danger sanitaire. C’est pourquoi nombreux furent ceux qui se sont demandé ce qu’un couvre-feu vient faire dans la lutte contre le COVID-19.

Mais il faut constater que l’état d’alerte sanitaire n’est pas aussi encadré que l’état d’urgence. D’une part, l’état d’urgence ne peut excéder trente jours si l’Assemblée nationale est en session, et quarante-cinq jours en période hors session. D’autre part, la prorogation de ce délai est faite par l’Assemblée nationale sur saisine du gouvernement. Il faut regretter que l’état d’alerte sanitaire ne soit pas encadré comme l’état d’urgence alors que les mesures susceptibles d’être prises pourraient porter atteinte injustement aux droits et libertés publiques au même degré que celles prises sous le régime de l’état d’urgence.

S’agissant encore du décret présidentiel sur le couvre-feu, il faut dire qu’il n’est pris, ni dans le cadre de l’état d’urgence déjà en cours dans le cadre de la lutte contre le terrorisme (l’état d’urgence ne concerne pas le territoire national mais 14 provinces), ni dans celui de l’état d’alerte sanitaire dont il est antérieur. Pour ce dernier cas, le texte ne vise pas le code de santé publique et ne fixe pas un délai conformément à l’article 66 du code de la santé publique.

A la suite de cette cacophonie juridique, de nombreux actes administratifs ont été pris et portent gravement atteinte à des droits et libertés fondamentaux. C’est le cas de la décision du ministre de la Justice de suspendre les audiences au lieu de réorganiser et prévoir des mesures d’accompagnement. Cette mesure porte ainsi gravement atteinte au principe sacrosaint de la continuité du service public de la justice, et avec lui, la violation continue des droits et libertés fondamentaux des personnes en détention. On peut y ajouter la grâce présidentielle qui, si elle est salutaire dans sa finalité, n’a pas suivi la procédure prévue à cet effet, notamment les dispositions de la loi portant régime pénitentiaire au Burkina Faso. Elle devrait s’appuyer sur les dispositions légales et pourrait même profiter au plus grand nombre.

En conclusion, la règlementation de la crise, pas moins que la gestion « mouta mouta » du gouvernement MPP, est une catastrophe. Il est impératif d’y remédier pour ne pas aggraver la situation des populations déjà délétère et inquiétante.

C’est pourquoi l’UPC propose que la loi sur l’état d’urgence et l’état de siège soit révisée pour prendre en compte le volet sanitaire. Ainsi, on aurait décidé, comme sous d’autres cieux, d’un état d’urgence sanitaire. Enfin, il convient, par une loi d’habilitation très stricte et enfermée dans des délais n’excédant pas deux mois, de déterminer les domaines dans lesquels le Président du Faso peut légiférer par ordonnance afin de limiter les abus de pouvoir et les graves violations des droits et libertés fondamentaux. Cela permettrait également de limiter les pôles de décisions disparates et de mieux encadrer et coordonner l’Administration.

Ouagadougou, le 20 avril 2020

Pour le Bureau Politique National,

Le Secrétaire national aux affaires juridiques et institutionnelles

Docteur Kouliga NIKIEMA,

Enseignant à l’UFR / SJP de l’Université Ouaga II

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