La carte des zones à risque publiée par le ministère français des Affaires étrangères condamne des régions entières à l'isolement, ce qui contribue à l'expansion de l'islam radical.

Face à la menace terroriste dans le Sahel, la France prend ses dispositions à l’intention de ses ressortissants établis dans la région où projetant de s’y rendre. Au titre des « conseils aux voyageurs », le ministère des Affaires étrangères produit une carte des zones à risque mise à jour au rythme des attentats. La dernière en date a été publiée fin mars, immédiatement après l’attaque perpétrée à Ouagadougou.

En rouge, les zones « formellement déconseillées » ; en orange, celles qui sont « déconseillées sauf raison impérative » ; en jaune, celles où une « vigilance renforcée » est de rigueur ; et, enfin, en vert, les zones dans lesquelles une « vigilance normale » serait suffisante. Le Mali, le Niger, le Burkina, le Tchad, la Mauritanie, le Nigeria et le nord du Cameroun et du Bénin concentrent l’essentiel des zones rouges et orange.

Des régions entières condamnées

Vue de Paris, la légitimité de ces mesures ne fait aucun doute. Mais l’on tient trop peu compte de leurs incidences politiques, sociales et socio-économiques sur les régions désignées. Surtout, on sous-estime le fait que ces coloriages constituent en eux-mêmes une victoire pour le djihadisme : présenter des régions entières comme étant « à risque » isole les populations locales et crée un écosystème social clos, favorable à l’expansion de l’islam radical, ne serait-ce que parce que les économies des zones ainsi colorées s’en trouvent fortement perturbées.

Dans les localités concernées, les ONG qui suppléent habituellement aux défaillances des États plient bagage, les activités économiques liées au tourisme s’effondrent et la pauvreté s’accentue, tout comme les frustrations provoquées par un sentiment d’abandon.

Fondements socio-­économiques du djihadisme

Les groupes djihadistes et leurs parrains font même de ces cartes un usage politique alternatif, puisque les zones qu’elles désignent deviennent pour eux le lieu d’une intensification possible de leurs actions. Ils ont ensuite beau jeu de proposer une réponse religieuse à la désespérance – une réponse qui permet l’enracinement d’une société alternative grâce à l’ouverture de katibas, mais aussi de centres de santé et d’écoles islamiques, vecteurs potentiels de l’islamisation radicale, portant un imaginaire de la néo-Oumma et d’un retour à l’âge d’or des salafs.

Il n’est plus besoin de démontrer que la radicalisation des jeunes se nourrit aussi de la pauvreté, de la corruption et des injustices, et l’« Allah Akbar » crié pendant les attentats terroristes ne doit pas faire oublier les fondements socio-­économiques de la raison jihadiste. Toute initiative accentuant les facteurs précités contribue à alimenter les rangs des groupes armés, y compris donc les cartes comme celles produites par le ministère français des Affaires étrangères.

Les effets dévastateurs sur les économies africaines

Par ailleurs, la France n’est pas plus sécurisée que les pays dont il est ici question. Le terrorisme y sévit comme il sévit au Mali ou à Ouagadougou. Les récents événements de Trèbes viennent tristement nous le rappeler. En matière de terrorisme, la France est tout aussi exposée que le Mali ou le Niger. Mais jamais Paris, Madrid, Londres, Stockholm ou Bruxelles n’ont fait l’objet de cartographies stigmatisantes les décrétant zones rouges infréquentables.

Jamais il n’a été « formellement déconseillé » de s’y rendre. Jamais il n’a été dit aux voyageurs désireux d’aller à Nice, à Paris ou à Trèbes qu’ils devaient « savoir que leur sécurité et leur vie [étaient] explicitement et directement menacées ».

Après les attentats qu’a connus la France ces dernières années, le message politique véhiculé a même essentiellement été de ne pas céder à la peur. L’on devrait pouvoir tenir compte des effets dévastateurs de tels exercices de coloriage pour les économies africaines fragiles, et fragilisées davantage encore par le virus jihadiste. Les gouvernements des États en situation de grande précarité ont bien des urgences à traiter en matière d’éducation, de santé ou d’emploi des jeunes. Il est peu probable que ce coloriage les y aide.

Francis Akindes / JA 

 

 

 

 

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