Mme Juliette Bonkoungou, député CDP

Mme Juliette Bonkoungou/Yaméogo. Voilà une des femmes qui ont réussi, dans le milieu politique burkinabè composé de, plein de requins et de fauves, à se faire une place. Membre fondateur du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), elle est aujourd’hui députée à l’Assemblée nationale. Au moment où l’ex-parti au pouvoir prépare son congrès dont certains redoutent l’issue, nous sommes allés échanger avec la « fille du Boulkiémdé ». 

« Le Pays » : Êtes-vous candidate à la présidence du CDP?

 Beaucoup de personnalités au nombre desquelles mon grand frère Léonce Koné et mon ami Mélégué Maurice Traoré, m’ont citée parmi les «candidables» à la présidence du parti. Je les remercie pour l’honneur qu’ils me font. Je pense que mon parcours politique, mon expérience, mon statut de femme, constitueraient un « must », un atout fort si je dirigeais le CDP. Mais ma réflexion profonde m’amène à penser à l’expérience de l’Indienne d’origine italienne, Mme Sonia Ghandi. Portée à la tête du parti du Congrès national Indien (INC) en 1998, elle remporte les élections générales en 2004 ; ce qui lui donnait, clé en main, le poste de Premier ministre en l’Inde ; mais elle renonça à être première ministre pour sauver l’unité et la cohésion de son parti. En effet, d’origine italienne, une partie des militants de son parti voyait mal son positionnement à la tête de l’Inde. Elle céda sa place donc à une autre personne de son parti, pour la sauvegarde de la cohésion et l’unité dudit parti. Je suis aujourd’hui dans une logique semblable. La question de la direction du CDP est très clivante et pourrait même menacer sa cohésion et son unité. Je préfère, dans ces circonstances, œuvrer à l’unité et à la cohésion du parti. Ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas femme à me dégonfler et à céder le terrain à des rivaux. Mais dans le cas d’espèce, je pense que mon rôle de membre fondateur de ce parti pour lequel j’ai tant sacrifié, commande que je me mette au-dessus de la mêlée pour sauver l’essentiel. Pour ma part, savoir se mettre au-dessus de la mêlée, sacrifier même son propre intérêt ou ambition à un intérêt supérieur, est un bel acte militant, patriotique et l’expression d’un leadership confirmé. Je n’ai jamais été et je ne serai jamais dans la logique du moi ou rien.

Pensez-vous comme Léonce Koné, que Eddie Komboïgo n’avait pas à faire des tournées régionales à quelques jours de la tenue du congrès ?

C’est un point de vue que je comprends et respecte. Ils sont effectivement nombreux parmi les camarades à penser que, considérant notre présence dans l’opposition, la réalité de nos moyens, le contexte général du pays, nous devons  nous obliger à une certaine retenue et discrétion, ce qui n’empêche pas le travail de mobilisation de se faire. Tout politique expérimenté sait que dans une foule qui se déplace massivement pour un rendez-vous politique, il y a bien sûr les militants, mais aussi des curieux et l’infiltration de vos adversaires ; ce qui rend sa valeur probante pour le parti, relative. Mais mon petit frère Eddie Konboïgo aime le contact direct et l’effervescence avec les militants. Pour moi, il s’agit, avant les grandes joutes électorales à venir, de faire quelques « échauffements et élongations » comme disent les sportifs,  avant de rentrer sur le terrain de la compétition. De plus, pour un parti qui a été aussi secoué comme l’a été le CDP, ça fait du bien aux militants de communier ensemble dans ce genre d’exercices qui leur rappellent les temps de gloire tout en les motivant à bloc.

Il se susurre que vous êtes amère parce que vous n’auriez pas été récompensée à la hauteur de votre engagement politique pour le parti. Qu’en dites-vous ?

J’ai beaucoup de respect pour les nombreux  camarades militants du CDP qui ont usé le fond de leur culotte pour le service du parti sans même avoir  jamais été chef  de service, ni quoi que ce soit, avec pour seule récompense les résultats positifs engrangés par notre parti au profit de notre peuple. Je ne suis donc pas amère de quoi que ce soit. J’ai certes avalé beaucoup de couleuvres, été combattue « mal mal mauvais » comme disent les enfants au cours de mon engagement militant, mais je mets tout ça sur le compte de la nature particulièrement rude de la lutte politique et je n’en tire aucun regret ni rancune. Mon mari, homme expérimenté, me répète à l’envi que « la politique n’est pas un jeu d’enfants de chœur ». J’en ai fait l’amère expérience, mais je me suis endurcie et j’ai appris à serrer les dents et à beaucoup relativiser. Ma devise aujourd’hui est : un rien m’agite mais rien ne m’ébranle. Aussi je dis à tous mes camarades, laissons palabre-là et allons seulement.

Mais au cas où vous seriez candidate et élue, vivriez-vous cela comme une récompense ?

Vous persistez, c’est une fixation ! Je n’ai pas fait acte de candidature, donc la question ne se pose pas.

Si c’était le cas, ce serait la première fois qu’une femme brigue la présidence du CDP. En tant que femme, est-ce un avantage ou un inconvénient ?

Une femme à la tête d’un grand parti est incontestablement un avantage pour ce parti :

C’est la preuve de l’ouverture d’esprit et la modernité de ce parti ;

C’est un facteur favorable à la mobilisation des femmes qui représentent plus de la moitié de la population ;

C’est un facteur favorable au débat d’idées dans les partis au lieu des éternelles querelles byzantines de leadership et enfin, c’est un facteur de paix parce que pour nos cultures africaines, la femme est comme le sel. Elle apaise et apporte du goût aux sauces. Mais j’ai appris, à mes dépens, qu’il ne suffit pas qu’une chose soit juste pour prospérer. Il faut également qu’elle soit comprise et acceptée par le plus grand nombre. Et on se doit de reconnaître que la question du leadership féminin, particulièrement à certains postes, reste un défi à relever par les hommes et les femmes épris du bien de ce pays.

Alpha Yago, pour ne pas le nommer, dans une interview à nous accorder, dit que Blaise Compaoré aura son mot à dire dans le choix du président du parti. Etes-vous de cet avis ?

 

Si vous connaissiez quelque peu le président Blaise Compaoré, vous sauriez que pour ce genre de questions, il ne subjectivise jamais. Je l’ai vu récemment, vous en saurez davantage bientôt.

Seriez-vous candidate à la candidature à la présidence du Faso ?

L’élection présidentielle est un temps fort dans la vie d’une nation. C’est la rencontre d’un homme ou d’une femme avec son destin et le peuple. D’éminentes personnalités de ce pays, du milieu de la presse, des églises, des femmes, des cadres et surtout des camarades de mon parti, le pensent et me le font savoir. Je les remercie grandement. C’est un honneur que je ne suis pas sûre de mériter. En réponse, je dis : chaque chose en son temps. 2020, c’est près mais c’est loin. Je répondrai à cette question en temps opportun. Par contre, j’analyse les échecs de Ségolène Royal en France, Hilary Clinton aux Etats-Unis, la destitution de Dilma Rousseff au Brésil, l’échec  de Dlamani Zouma à la tête de son parti l’ANC en Afrique du Sud, pour me questionner sur la perfection réelle des peuples du monde concernant le leadership féminin et particulièrement l’exercice de la responsabilité suprême. J’ai beaucoup de respect pour la cause des femmes et ne souhaite pas que mon éventuelle candidature à cette très haute fonction, soit anecdotique et desserve en définitive la cause des femmes.

« Oui. Je  vois Blaise Compaoré quand je vais à Abidjan. Il nous arrive aussi de communiquer par e-mail. »

En vous mirant tous les matins, rêvez-vous d’un destin national ?

Je pense que par la grâce de Dieu, j’ai déjà eu un parcours appréciable dans mon pays et à l’international. Mais si vous pensez précisément à la présidence du Faso, je vous répondrai que, pour moi, tout pouvoir vient de Dieu ! C’est Lui qui élève ! C’est pourquoi, en me mirant tous les matins, je pense à mes enfants, mes petits-enfants, mon mari, mon engagement pour le pays, je pense au travail que je pourrai avoir à mieux faire pour soulager les difficultés de mes concitoyens. Par conviction religieuse, je laisse à Dieu de faire le reste. Je suis sa servante, que sa volonté soit faite.

Est-ce que le débat sur la révision du Code électoral se pose au sein du CDP quand on sait que beaucoup de vos cadres sont visés par la loi Chérif ?

Mon parti souhaite bien sûr la révision du Code électoral pour extirper au moins les mesures d’exclusion scélérates qui ont frappé de façon inique les militants de mon parti et d’autres.

Le groupe parlementaire CDP a fait une proposition dans ce sens, mais le projet a été sursis par la présidence de l’Assemblée nationale au motif que nous devons attendre la révision du Code électoral dans son ensemble.

Etes-vous toujours en contact avec Blaise Compaoré ?

Oui. Je  le vois quand je vais à Abidjan. Il nous arrive aussi de communiquer par e-mail.

Etes-vous favorable à son retour?

Quelle question ! ? Bien sûr que oui ! J’y travaille même ! J’affirme que Blaise Compaoré est un grand homme d’Etat qui a bâti ce pays, favorisé son retour à la démocratie par l’adoption de la Constitution de juin 1991. Je regrette cependant les ratés qui ont eu lieu. Mais Blaise Compaoré est un homme et il a eu ses insuffisances d’homme, le système qui l’accompagnait a péché parfois par manque de courage et de sincérité à son endroit sur plusieurs questions. Je le regrette. Malheureusement, l’histoire des peuples n’est pas toujours lisse… Ceci étant, la place de Blaise Compaoré est ici au Burkina. J’ajoute que tous les Burkinabè contraints de rester à l’extérieur du Burkina, doivent pouvoir rentrer dans leur pays. C’est nécessaire pour l’unité et la concorde nationales, facteurs de paix et de stabilité sans lesquelles aucun développement n’est possible. Vous savez, si on admet que le projet de révision de l’article 37 est une faute politique, je dis que la sanction d’une faute politique c’est la perte du pouvoir. Blaise Compaoré et le CDP ont perdu le pouvoir ; il n’y a pas lieu, à mon avis, d’ajouter d’autres sanctions au risque de céder, à la place de la Noblesse et de la Grandeur du Pouvoir, à un petit jeu politicien indigne. Donc, le retour de Blaise Compaoré, des exilés, c’est l’intérêt supérieur de notre pays qui le commande. Aussi, je recommande au Président Roch Marc Christian Kaboré de rester lui-même, d’être au-dessus de la mêlée, de ne pas céder au petit catéchisme des politiciens du dimanche qui se dépêcheront de lui tourner le dos en cas de difficultés.  La fonction présidentielle exige de la grandeur, de la hauteur de vue. Après les luttes pour la conquête du pouvoir, le chef rassemble et avance. C’est ce que je lui demande. Un Chef n’a pas de rancune.

Quel est, selon vous, le meilleur candidat CDP pour battre le président Roch Marc Kaboré en 2020 ?

Vous savez, le succès à une élection est plus une question d’appareil, d’organisation. Même si la personnalité du candidat est importante, elle compte peut être seulement pour 20% dans le succès. Le reste revient au parti et aux partis qui le soutiennent, à leur capacité d’organisation et de mobilisation. Aussi, j’exhorte mon parti à attacher sa ceinture, à bien s’organiser et à travailler pour donner un programme solide et attractif au pays, à favoriser son unité et sa cohésion pour rassembler et mobiliser au maximum, au-delà de notre camp, car les jeux sont loin d’être faits. Le Président Roch et le MPP bénéficieront de la prime au sortant, de leur expérience de ce genre d’exercice. Retenez qu’aujourd’hui, on parle de science électorale. Regardez ce qui s’est passé aux Etats-Unis avec l’utilisation des données personnelles d’Internet. A méditer… Pour conclure, je répète, les jeux sont loin d’être faits. Le CDP a un excellent maillage du territoire, une endurance consolidée par les évènements, la rage de se relever et vous savez que dans les batailles, c’est l’envie de gagner qui donne la victoire.

Quelle lecture avez-vous par rapport aux fonds communs ?

Le fonds commun, pour moi, est une sorte de prime de productivité, mais je concède que son montant doit être en rapport avec la situation financière et économique du pays.

A propos des salaires de la Fonction publique, pour lesquels le pouvoir propose une refonte salariale, quelle est votre opinion d’abord par rapport au principe et ensuite par rapport au rejet, par les syndicats, de la participation du contribuable burkinabè aux négociations?

Dans l’absolu, une réforme, c’est pour mieux faire. C’est une recherche de progrès et d’efficacité. On ne peut pas être contre la vertu. Mais je voudrais faire observer qu’une réforme globale d’un système de rémunération, est une vaste et difficile entreprise qui doit prendre en compte plusieurs facteurs, l’opportunité du moment, le droit acquis des travailleurs, de même que le système de motivation des agents. Pour ma part, c’est une entreprise qui se fait en début de mandat, et non au milieu comme dans le cas d’espèce. En résumé, c’est une opération  périlleuse, parce qu’il n’y a pas opportunité du moment. Quant à la participation du contribuable burkinabè, je voudrais dire que le type de négociation est normé, c’est entre les syndicats et le gouvernement. Je ne comprends donc pas cette participation du « contribuable ». Il s’agit de quel contribuable ? Je pense que cette contribution du « contribuable » constitue l’expression d’une logique de division et de fragilisation de la partie syndicale. Ce qui, d’entrée de jeu, est un facteur de blocage du projet de négociation.

Est-il facile de concilier activités politiques et vie conjugale ?

Non ! C’est difficile mais pas impossible. Je suis mariée avec mon adorable mari, Docteur Pascal Bonkoungou, depuis 37 ans. Nous avons 3 enfants comme indiqué ci-dessus. Mon aîné, ma grande fille chérie, Carole Teega-Wendé, magistrate comme moi, est mariée et mère de mes adorables petits-enfants. Arnaud Pingdwendé, mon premier fils, banquier de son état, a une sainte horreur de la politique ! Il préfère de loin parler finances, business, économie ; mais rêve d’un Burkina Faso comme le Japon, c’est-à-dire petit pays par la superficie, mais Grand par son économie et son inventivité. Il aime le look Faso dan fani et roucoule encore avec sa jeune épouse, la belle Eliane. Enfin, le cadet, Cédric Stéphane Barkwendé, un peu bohème, un peu artiste, ingénieur en génie mécanique de son Etat, après un stage de perfectionnement au Japon, travaille dans une firme d’ingénierie canadienne et reste un cœur à prendre.Je rends grâce à Dieu pour sa bonté infinie à mon endroit. Toute ma vie, je le glorifierai. Il est résolument l’Alpha et l’Oméga. Donc, je lance un appel fort à mes filles, à mes petites sœurs, à mes sœurs pour s’engager massivement dans les partis politiques, à travailler avec détermination pour faire tomber la bastille de l’inégalité homme femme, pour l’intérêt du Burkina Faso. Nous sommes 52% de la population, nous ne devons pas avoir peur, le ciel seul devra être notre limite !

Propos recueillis par Michel NANA

Source : Le Pays

ENCADRE

Qui est Juliette Bonkoungou ?

« Je suis juriste de formation, magistrat de profession. Mais j’ajoute que j’ai aussi un diplôme de 3e cycle de l’Ecole supérieure de Commerce et d’Administration des entreprises de Bordeaux : Option management achat industriel ; ce qui me donne une bonne ouverture sur les questions économiques et financières. J’ai occupé plusieurs postes de responsabilités au niveau de l’Etat et à l’international : directrice de la télévision nationale, ministre, présidente du Conseil économique et social, ambassadeur au Canada, Vice-présidente de l’Assemblée nationale du Burkina Faso. A l’international, j’ai présidé le groupe des experts des Nations unies, chargé de préparer la session spéciale de l’ONU sur l’Administration publique et des finances.

J’ai obtenu plusieurs distinctions honorifiques au plan national et  international.

– Commandeure de l’Ordre national burkinabè ;

– Grand officier de l’ordre du Lion du Sénégal ;

– Médaille d’honneur de la Diplomatie canadienne ;

– Lauréate du prix « Mémorial africain de l’Institut Africain de Lugano édition 1999 ». Je tiens à ajouter que j’ai été nominée par un grand journal africain avec 4 autres femmes africaines par la Présidente de la Commission de l’UA, mais faute de soutien politique, ma candidature n’a jamais été présentée à ce niveau. Je suis mariée, mère de trois (03) enfants, grand-mère d’une petite fille de cinq ans et d’un petit-fils de sept mois ; ce qui constitue ma plus grande fierté ».

 

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