L'opération française Sangaris en République centrafricaine

Le continent africain n’avait plus connu pareille concentration de forces militaires étrangères sur son sol depuis la fin de la seconde guerre mondiale puis, par la suite, de la guerre froide.

L’inquiétude du pays de l’oncle Sam.

Ces dernières années, près d’une trentaine de bases militaires étrangères, permanentes ou temporaires, ont été dénombrées en Afrique (voir la 2e partie de ce dossier, la semaine prochaine). Une présence « justifiée » officiellement par la lutte contre le terrorisme et la piraterie maritime principalement dans la corne de l’Afrique et récemment dans le golfe de Guinée. Pourtant, cette dynamique se présente également, et de plus en plus, comme le reflet d’un véritable jeu d’influence entre puissances occidentales et émergentes, face auquel le continent peine encore à trouver ses marques.

Beaucoup de pays africains ont encore besoin de l’appui de forces étrangères pour assurer
leur sécurité.

Un contexte qui se veut différent

L’apparition d’Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), suite à la crise libyenne et de Boko Haram dans le nord du Nigeria, constituent des menaces graves pour la stabilité de la région sahélienne et celle du lac Tchad. Avec son lot de fléaux à savoir le terrorisme, le trafic de drogue, la traite d’êtres humains, l’immigration clandestine, etc.

Mais au-delà des aspects purement sécuritaires, cette instabilité pose des problèmes d’ordre économiques pour ces régions particulièrement riches en ressources minières et énergétiques tel que le pétrole, le gaz, l’or, l’uranium, le diamant, le phosphate, la bauxite, le plutonium, le manganèse, ou encore le cobalt. De sorte à faire apparaitre une rivalité franco-américaine surtout dans le Sahel, matérialisée par la mise en

Pékin a installé en 2017, sa première base militaire outremer à Djibouti.

place de différentes bases militaires, dont le but est principalement de sécuriser leurs approvisionnements en matière énergétique et minérale, selon de nombreux analystes.

Une rivalité franco-américaine, surtout dans le Sahel, matérialisée par la mise en place de différentes bases militaires.

Quant au phénomène de la piraterie dans la corne de l’Afrique, elle touche à l’une des routes maritimes et commerciales les plus fréquentées du monde, reliant l’Asie, l’Afrique et l’Europe. Une menace qui a nécessité une réponse concertée autour du Groupe de contact sur la piraterie au large des côtes somaliennes (GCPSC), tout comme la création de certaines forces maritimes telle que la force navale européenne (EUNAVFOR). Ainsi qu’à la création de nouvelles bases navales (en plus celles déjà existantes) à savoir la base navale chinoise à Djibouti, ou encore la base turque en Somalie.

Un phénomène maritime qui a fini par s’étendre aux eaux du Golfe de Guinée en Afrique de l’Ouest, où il est en constante augmentation depuis 2012. Selon la fondation One Earth Future, les attaques armées contre des bateaux ont connu une hausse de près de 76% entre 2015 et 2016 dans cette région riche en ressources énergétiques et qui est devenue l’épicentre de la piraterie maritime sur le continent.

Occasionnant ainsi une certaine concentration de forces maritimes à travers l’organisation constantes de manœuvres militaires navales tel que le Navy’s exercice for maritime operation (NEMO) entre les marines française et camerounaise, ou encore l’Obangame Express impliquant 31 pays sous la conduite des États-Unis.

Contrer l’influence grandissante de la Chine et des puissances émergentes

A la veille d’une tournée d’une semaine dans cinq pays africains (Éthiopie, Djibouti, Kenya, Tchad et Nigeria), le secrétaire d’État américain, Rex Tillerson, a estimé, le 6 mars, que l’engagement de la Chine en Afrique « met en danger la stabilité économique et politique » de ce continent.

«Une fois associée à la pression politique et fiscale, l’approche de la Chine en Afrique met en danger les ressources naturelles du continent et sa stabilité économique et politique à long terme », a-t-il déclaré lors d’un discours prononcé en Virginie.

«L’approche de la Chine en Afrique met en danger les ressources naturelles du continent et sa stabilité économique et politique à long terme »,

De tels propos cachent, en fait, l’inquiétude du pays de l’oncle Sam – ainsi que d’autre pays occidentaux – face à la montée en puissance de la Chine dans les relations économiques et commerciales avec le continent.

Depuis 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique. Ces échanges commerciaux s’élevaient en 2016 à 149,2 milliards $ (56,9 milliards $ d’importations et 92,3 milliards $ d’exportations chinoises). La Chine est également en pointe des investissements dans de nombreux domaines tels que les infrastructures, l’énergie, les mines, etc. Par ailleurs, Pékin a installé en 2017, sa première base militaire outremer à Djibouti à proximité de la base du corps expéditionnaire américain de Camp Lemonnier. Cette base devrait accueillir près de 10 000 hommes d’ici à 2026, date à laquelle les militaires chinois auront transformé cette enclave en avant-poste militaire de la Chine en Afrique.

A cela s’ajoutent d’autres puissances émergentes telle que l’Inde dont les échanges commerciaux bilatéraux avec l’Afrique sont passés de 1 milliard $ en 1995 à 75 milliards $ en 2015, selon la BAD. New Dehli est également présent militairement en Afrique avec sa station d’écoute implantée dans le nord de Madagascar en 2007 pour suivre le déplacement des navires dans l’océan Indien et surveiller les communications maritimes. En outre, l’Inde s’est vu alloué, par les Seychelles, un terrain sur l’île de l’Assomption en vue de construire sa première base navale dans l’océan Indien. L’objectif officiel est de lutter contre la piraterie, toutefois l’Inde semble également vouloir garder un œil sur la Chine dont l’influence va crescendo dans l’océan indien.

L’ours russe n’est pas en reste de ce jeu d’influence. En effet, bien qu’ayant un niveau d’échanges assez faible avec le continent, la Russie a décidé de l’inscrire parmi les « priorités russes en politique étrangère », comme l’a souligné récemment Sergueï Lavrov. Une déclaration faite juste avant le démarrage d’une tournée qui l’a conduit dans cinq pays africains (Angola, Namibie, Mozambique, Zimbabwe et Éthiopie) en vue officiellement d’intensifier « les liens sur plusieurs axes, trouver de nouveaux terrains pour des efforts communs dans les domaines commercial et économique, scientifique, technique, humanitaire et d’autres encore ».

La Russie a décidé d’inscrire l’Afrique parmi les « priorités russes en politique étrangère », comme l’a souligné récemment Sergueï Lavrov.

Renforçant, par ailleurs, sa coopération militaire avec des pays tel que l’Algérie, l’Égypte, l’Angola, l’Ouganda, le Zimbabwe, l’Afrique du sud, l’Éthiopie, ou encore le Mozambique, la Russie tente actuellement une incursion en Afrique centrale. Ceci, depuis la livraison d’armes destinées à équiper deux bataillons de l’armée centrafricaine (1300 hommes), avec à l’appui 200 instructeurs des forces spéciales russes.

Omar El Bechir a émis le souhait de voir s’installer une base russe sur son territoire pour « se protéger des actions agressives de Washington ».

Pour sa part, le président soudanais, Omar El Bechir, a émis le souhait, lors d’une récente visite à Moscou, de voir s’installer une base russe sur son territoire pour, dit-il, «se protéger des actions agressives de Washington».

Une Afrique qui cherche encore ses marques

L’augmentation de la présence des forces militaires étrangères sur le continent résulte en partie de la fragilité des États africains ainsi qu’à la faiblesse structurelle de ses nombreuses armées.

En effet, à l’exception notable de certains pays qui tentent d’assurer leur sécurité essentiellement par leurs propres moyens parmi lesquels figurent notamment l’Égypte, aux prises avec l’État islamique dans le Sinaï, l’Algérie, avec la menace terroriste dans le sud de son territoire, ou encore le Cameroun et le Nigeria avec Boko Haram, beaucoup d’autres tels que le Mali, le Niger, la Centrafrique ou encore la Somalie ont besoin de l’appui d’autres forces, notamment étrangères à l’Afrique.

Au niveau régional africain, bien que des efforts soient déployés, ceux-ci restent cependant insuffisants pour permettre au continent d’assurer lui-même ses besoins en matière sécuritaire.
En effet, comme c’est d’ailleurs le cas pour le fonctionnement de l’Union africaine dont le budget reste largement dépendant de l’aide des partenaires internationaux (à hauteur de 73,79% en 2017), les opérations de maintien de la paix en Afrique sont largement tributaires de l’aide des partenaires extérieurs au continent..

En plus d’être financier, cet appui est également matériel, logistique, mais également humain avec le conseil, la formation et même l’engagement de troupes au combat comme c’est le cas pour l’opération Barkhane.

Pour preuve, l’opérationnalisation de la force militaire conjointe des pays du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie) a été retardée, faute de financements suffisants. Là encore, ce sont les partenaires extérieurs qui sont sollicités, tant en terme de financements qu’en matière d’appui logistique. Ainsi, après plusieurs rounds de discussions, ce sont 414 millions d’euros annoncés sur les 423 millions d’euros nécessaires pour financer la force militaire du G5 Sahel pour 2019, lors d’une conférence internationale tenue à Bruxelles, le 23 février dernier. Avec pour donateurs, l’Union européenne, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, la France, les États-Unis, et les États du G5 eux-mêmes.

Dans l’attente de la Force Africaine en Attente

S’inscrivant dans le cadre de l’Architecture de paix et de sécurité africaine (Apsa) et prévue dès la constitution de l’Union Africaine en 2002 dont elle est censée être le bras armé, la force africaine en attente (FAA) n’est toujours pas opérationnelle. Repoussé à maintes reprises depuis 15 ans, faute de financement, le lancement de la FAA se fait encore attendre.

En 2015, un premier exercice d’entrainement de soldats d’une douzaine de pays africains avait eu lieu en Afrique du Sud, laissant croire à un démarrage imminent de cette force de réaction rapide panafricaine.

En 2015, un premier exercice d’entrainement de soldats d’une douzaine de pays africains avait eu lieu en Afrique du Sud, laissant croire à un démarrage imminent de cette force de réaction rapide panafricaine. Toutefois, ce n’est qu’en janvier dernier que la première base logistique de cette force installée sur deux sites de 10 et 15 hectares a été inaugurée à Douala au Cameroun.

Initialement la FAA doit être composée de cinq brigades disposant chacune de son propre commandement et correspondant aux cinq communautés économiques régionales (CER) du continent : Afrique du Nord, de l’Ouest, centrale, australe et de l’Est.

Ces brigades interarmes doivent regrouper des unités commandos, de cavalerie blindée, d’infanterie, d’artillerie, du génie, du train, des unités médicales, des gendarmes ou de la police militaire. Ceci pour un effectif allant jusqu’à 6000 hommes fournis par les pays membres de la CER.

En plus de sa brigade en attente, chaque CER est censée avoir un élément de planification permanent au sein d’un quartier-général.

De manière à pouvoir réduire les délais d’intervention, l’UA décide de créer une force d’action rapide, la Capacité de déploiement rapide (CDR) qui correspond à un contingent de 2500 hommes fournis par CER, détaché de sa brigade en attente.

Ainsi, comme c’est le cas déjà en ce qui concerne la mise en œuvre de réformes devant instaurer l’indépendance financière de l’UA vis-à-vis de ses partenaires extérieurs, l’opérationnalisation de la FAA devrait constituer un autre chantier majeur du nouveau président en exercice de l’Union Africaine, le rwandais Paul Kagamé.

Certes, cette force ne permettra pas forcément de résoudre tous les problèmes sécuritaires du continent, mais elle pourrait se présenter comme un début de maitrise, par les Africains, de leurs défis en matière de sécurité, et à une première réponse face à cette présence grandissante des forces militaires étrangères en Afrique.

Borgia Kobri

Source : agenceecofin

ENCADRE

En 60 ans, des accalmies de courtes durées

A la faveur des indépendances, acquises pour la plupart dans les années 1960, l’Afrique a été l’une des zones les plus âprement disputées entre puissances de l’ouest et de l’est pendant la guerre froide. Une situation qui aura été la base de nombreux conflits et évènements, malheureusement, sur le continent.

Parmi ceux-ci figurent notamment l’assassinat en janvier du premier ministre congolais Patrice Lumumba en partie, en raison de son recours à l’aide de l’Union soviétique.
Un autre conflit qui aura marqué l’Afrique pendant la guerre froide aura été la guerre civile en Angola, dont l’un des points culminants sera marqué par la bataille de Cuito-Cuanavale en 1988 qui aura occasionné un affrontement direct entre, d’une part, l’armée angolaise et les troupes cubaines, appuyées par les Soviétiques et, d’autre part, les combattants de l’Union nationale pour l’indépendance totale de l’Angola (UNITA), soutenus par l’armée sud-africaine et la CIA. Elle est même considérée aujourd’hui comme la plus importante bataille engagée sur le continent africain depuis la seconde guerre mondiale, avec notamment les combats des forces alliées contre les troupes allemandes de l’Afrikakorps et italiennes en Afrique du nord.

Par ailleurs, sous l’influence du président américain Ronald Reagan, les États-Unis fournirent un appui officiel ou officieux à des mouvements de résistance et de guérillas de droite, afin de refouler les gouvernements de gauche soutenus par l’Union soviétique en Afrique, tout comme en Asie et en Amérique latine. La doctrine Reagan était, en effet, conçue en vue, non seulement de réduire l’influence soviétique dans ces régions, mais aussi de permettre l’avènement du capitalisme (et parfois de la démocratie libérale) dans des pays majoritairement dirigés par des gouvernements socialistes soutenus par l’Union soviétique comme ce fut le cas, notamment en Afrique australe.

La fin de la guerre froide avait entraîné un « déclassement stratégique » de l’Afrique qui s’était traduit par une réduction notable des forces étrangères en présence.

Toutefois, la fin de la guerre froide et le retrait de l’Union soviétique, a entraîné un «

déclassement stratégique » de l’Afrique qui s’est traduit par une réduction notable des forces étrangères en présence. Certains pays comme la France auront cependant maintenu une présence militaire permanente et considérable principalement dans les anciennes colonies.

Un semblant d’accalmie qui n’aura pas été de longue durée eu égard à la montée en force, ces dernières années, de la présence militaire étrangère en Afrique.

BK

NB : Dans la 2eme partie de ce dossier à paraître prochainement : l’état complet des forces étrangères présentes en Afrique, ainsi que leurs missions.

 

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