L'ambassadeur Xavier Lapeyre de Cabanes lors de l'entretien avec le journaliste :« Le Burkina Faso est sur une très bonne voie en matière politique, puisque vous avez déjà fait une insurrection démocratique et pacifique, même si il y a eu des victimes déplorées »

Le vendredi 14 juillet 2017, la France célèbrera sa fête nationale qui remonte depuis 1789, qui marque l’époque de la Révolution française. Une fête qui a une solennité mondiale, en ce sens qu’elle porte le cachet historique de l’article 1er  de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui stipule : « Les Hommes naissent et demeurent livre et égaux en droit ». Pour avoir plus d’éclairage sur l’évolution de cette fête, nous avons rencontré l’ambassadeur de France au Burkina Faso M. Xavier Lapeyre de Cabanes. Il se prononce également, sur la lutte contre le terrorisme au Sahel,  la coopération entre la France et le Burkina Faso ces deux dernières années, le PNDES, la situation politique nationale et les multiples grèves des fonctionnaires au Burkina etc. Un entretien digne d’intérêt !

IBURKINA : Monsieur l’ambassadeur, le 14 Juillet prochain sera célébrée la fête nationale française, qui est la seule fête nationale ayant une célébrité mondiale. Qu’est ce qui explique cette exception ?

L’ambassadeur Xavier Lapeyre de Cabanes : Je crois que c’est dû simplement à l’histoire. La fête du 14-Juillet est une double fête. Elle a été retenue par la 3ème République en 1870 pour être la fête nationale de la France. Par-ce-que le 14-Juillet, c’est deux dates : Le 14-Juillet 1789 que tout le monde connait qui est la prise de la Bastille, qui est un élément important de la Révolution française. Et un an après en 1790 qui est la fête de la fédération qui était véritablement une grande fête ou tous les corps se sont réunis pour fêter l’unité du peuple français (la nation française pour certaines personnes). Une grand-messe a été célébrée à l’époque par l’évêque Taleron. C’est une fête qui est très symbolique car elle  marque le début d’une révolution (1789) contre un régime monarchique qui a visé à faire

M. Xavier Lapeyre de Cabanes:« La fête du 14-Juillet est une double fête. Elle a été retenue par la 3ème République en 1870 pour être la fête nationale de la France »

’reposer le régime politique sur des principes considérés comme universels.   L’un des moments le plus fort du début de la révolution française, c’est évidemment l’adoption de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen qui date de septembre 1789, qui commence à peine par  la prise de la Bastille. Celle-ci débute par cette phrase célèbre, l’article 1er  de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen :« Les Hommes naissent et demeurent libre et égaux en droit ». C’est une proclamation universelle puis qu’elle ne concerne pas seulement des citoyens français, mais tous les  hommes et les membres d’une nation.

C’est sans doute en fonction de cette portée universelle de droit proclamée par la déclaration que la date de la Révolution française du 14-Juillet 1789 est devenue célèbre au monde.

Le côté festif est plus mis en exergue en France et à travers le monde alors que la prise de la Bastille a connu également son côté triste. Y a-t-il une pensée particulière aux victimes?

Disons que la révolution, comme tous les éléments violents qui engendre un bouleversement de régime a connu aussi son côté impitoyable. Mais ce que l’on retient de la date du          14-Juillet, c’est la démolition d’une prison qui était symbolique d’un pouvoir royal arbitraire et d’autre part la fête de la fédération qui est au contraire la réunification, la réconciliation de l’ensemble des français autour de l’idée de la nation. La révolution française  a connu une période de terreur mais ça n’empêche pas de retenir  d’abord et surtout, tout l’espoir qui est né  autour de cette date.

Y a-t-il un thème particulier qui accompagne la célébration du 14-Juillet ? Si oui pouvez-vous nous expliciter le thème choisi pour cette année 2017 ?

Non, il n’y a pas de thème particulier. La fête  nationale conserve le thème qui nous est donné par la devise nationale : ‘’Liberté, Égalité Fraternité’’. C’est suffisant comme thème.

Cette année, le 14-Juillet se fête à un moment ou le capital de confiance que le peuple français accordait aux formations politiques historiques (PS ; UMP) s’effritent considérablement au profit de La République En Marche (LREM) d’Emmanuel Macron  et du Front National. Comment en est-on arrivé là ?

La réponse est assez longue. Cet état de fait en politique est tout à fait normal. Pendant la 3ème République il y avait un parti politique qui  était ultra-dominant au point d’être pratiquement le seul au pouvoir. Mais ce parti a disparu pendant la 4ème République.        C’est logique que les partis politiques s’affaiblissent et d’autres émergent pour correspondre à de nouveaux souhaits et des nouvelles demandes de la population.

Monsieur l’ambassadeur, comment la sociologie politique française peut-elle expliquer le triomphe spontané de LREM d’Emmanuel Macron qui n’avait à peine qu’une année d’existence ?

Oui sûrement. Là encore la réponse est complexe et longue. Il y a naturellement des éléments sociologiques qui expliquent les raisons pour lesquelles le Président de la république a réussi son pari après la création de son parti il y a plus d’un an maintenant et de se présenter lui-même à l’élection présidentielle. L’épuisement des partis politiques anciens, un discours très ouvert, très européen, très franc, la vision, la réorganisation des pouvoirs et des relations entre les citoyens eux-mêmes. J’ai été frappé par le discours que le Président a prononcé devant le congrès par l’importance de notre confiance et beaucoup de dignités. Dignité de chacun et confiance  entre les membres de la société. Le Président a insisté qu’il fallait redonner confiance à la population dans ses institutions et dans la société elle-même.

Aujourd’hui, la France est sous une gouvernance mono-colore à l’Assemblée nationale française avec 361 députés (LREM, Modem). N’est-ce pas une prise en otage de la démocratie française comme cela se voit dans les pseudo-démocraties de certains pays africains ?

Non. Pas du tout. Il est arrivé à multiples reprises qu’un seul parti politique en France obtienne la majorité absolue. C’est le cas de l’Union pour la Défense de la République (UDR,  de 1962-1967 et 1968-1973) du Général Charles De Gaulle. C’était le cas du Parti Socialiste (PS) lors du 1er septennat du président Mitterrand. C’était le cas de l’UMP pendant le quinquennat de Sarkozy. C’était le cas du Parti Socialiste à l’époque du Président Hollande. Donc, non seulement ce n’est pas quelque chose de nouveau, mais presque la tradition ou l’habitude sous la 5ème République et cela n’a pas empêché la démocratie française de fonctionner, ni l’alternance de se faire. Et à toutes les élections législatives que nous avons eues ces derniers temps nous avons vu l’alternance. Donc, ce n’est pas manifestement gênant.

Monsieur l’ambassadeur, la France et le Burkina subissent des attaques terroristes sans cesse ces deux dernières années. Comment peut-on réellement s’y prendre pour venir à bout de cet ennemi imprévisible ?

Pour le Burkina Faso, le terrorisme est quelque chose de nouveau, mais ce n’est pas le cas pour la France. La France a connu des épisodes de terrorismes très nombreux  au cours de son histoire depuis le début de la 3ème République.  Il y a eu une période de terrorisme anarchique à la fin du 19è sicle et au début du 20è siècle. Il y a eu un Président de la République française qui s’appelait Sadi Carnot, qui a été assassiné en juin 1894 par un terroriste

L’ambassadeur Xavier Lapeyre de Cabanes :« Le Burkina a bien résisté aux attaques terroristes, puis-qu’après 18 mois, il a su contrôler le pays »

anarchiste ; il y a eu une bombe qui a été lancée à l’intérieur de l’Assemblée nationale (Chambre des députés à l’époque) par un terroriste anarchiste. Nous avons connu une période d’attentats terroristes anarchistes, nous avons connu des attentats terroristes au moment de la guerre d’Algérie, des groupes terroristes arméniens et palestiniens, des attaques terroristes menées par des gens proches du Front islamique du salut (FIS) dans les années 90 etc. Mais grâce à la fermeté de la loi, à l’assurance, à la confiance des français  à la république et à leurs valeurs ces attentats n’ont jamais réussi à démoraliser le peuple français. Il faut savoir que la démocratie peut inciter des personnes à passer aux actes terroristes. Car certaines personnes font une critique absolue et radicale de la démocratie et considèrent qu’elle doit être détruite. Malheureusement, je crois que jusqu’à la fin des temps il existera des démocraties, il y aura des terroristes qui penseront que la démocratie est un mensonge. Donc, il faut que les États soient obligés de répondre à la menace  en prenant les mesures nécessaires pour punir les actes terroristes et surtout pour les prévenir. Donc, cela nécessite des mesures policières et de renseignements pour pouvoir contrôler et éviter que les actes terroristes ne se perpétuent. L’intention de l’acte terroriste, c’est de terroriser en  tuant.

Le G5 Sahel ; la MINUSMA, l’opération Barkane, sont autant de forces coalisées qui conjuguent leurs efforts pour combattre le terrorisme en Afrique de l’ouest. Quel est l’apport de la France ?

La France soutient les pays du G5 Sahel en les encourageant dès le début à s’organiser, à se coaliser pour créer ce groupe des cinq États du sahel qui sont particulièrement menacés surtout le Niger, le Mali et le Burkina Faso par le terrorisme. Donc, la France est évidemment à côté des cinq États du sahel pour les aider à avoir une réponse sécuritaire, pour mettre fin à la puissance des groupes terroristes. Ensuite il y a une réponse politique,  qui a été signée il y a quelques années à Alger pour tenter de trouver une solution à la crise au Mali. Il y a aussi des éléments de réponses sociales et économiques qu’on peut donner qui passent par des projets de développement qui doivent être mis en œuvre rapidement. Le Burkina a bien résisté aux attaques terroristes, puis-qu’après 18 mois, il a su contrôler le pays grâce aux opérations menées dans le Nord du pays et dans le Sud du Mali avec les troupes françaises et les troupes maliennes. Et puis il y a le plan d’urgence pour le sahel qui vient d’être approuvé pour le gouvernement il y a une dizaine de jours et qui lui-même vise à apporter un deuxième élément de réponse au-delà de la réponse sécuritaire, des réponses de développement économique et social.

Le Président français Emmanuel Macron a participé au Sommet du G5 Sahel en début juillet. Le G5 a-t-il vraiment un soutien politique, financier et matériel suffisant pour venir au bout de sa mission ?

A priori, il y a un soutien politique de la communauté internationale déjà. Le soutien de la France est l’origine ; il y a le soutien de l’Union européenne aussi, il y a des missions de l’Union européenne qui sont présentes au Mali et au Niger pour former  les cadres des membres de la sécurité. Il y a une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU qui a été adoptée au mois de juin dernier ; Il y a aussi l’Union africaine  qui avait d’une certaine façon validé l’idée de créer un G5 Sahel et une force conjointe. Tout cela marque le soutien de la communauté international au G5 Sahel. Le soutien financier, la France l’apporte déjà avec l’opération Barkane qui coûte 800 millions d’euros par an aux contribuables français.           En plus de cela l’équipement de la force du G5 Sahel qui va être assuré partiellement par l’Union européenne et certains pays de l’UE d’ajouter des éléments ( c’est le cas de la France). De même, chacun des États du G5 Sahel apporte sa contribution pour permettre que la force conjointe elle-même puisse active et opérationnelle.

En ce qui concerne le Burkina, quelle analyse faites-vous de son évolution sociopolitique depuis l’arrivée au pouvoir du Président Roch Marc Christian Kaboré ?

Je ne commente pas la politique intérieure du Burkina Faso. Ce n’est pas mon métier.          En revanche, je peux dire que le Burkina Faso est sur une très bonne voie en matière politique, puisque vous avez déjà fait une insurrection démocratique et pacifique, même si il y a eu des victimes déplorées compte tenu de la répression de l’insurrection. Ensuite, il y a eu le coup d’Etat. Mais, qui a échoué grâce à la détermination de la population. Une population soutenue d’ailleurs par les partenaires étrangers, notamment la France qui s’est opposée avec d’autres partenaires aux putschistes. Le Burkina est sur la bonne voie par-ce-que le pays est sur la voie démocratique, et on voit bien que le débat politique est très animé, très vif et c’est ce qui est normal. Car c’est parfaitement la règle qui est la marque  d’une démocratie vivante. Cela est extrêmement satisfaisant et très plaisant de voir le début d’un vrai régime démocratique au Burkina Faso

De la coopération entre le Burkina et la France ; quel bilan peut-on dresser ces deux dernières années ?

Pendant ces derniers temps, la coopération entre la France et le Burkina Faso ne s’est pas arrêtée. Le Burkina est un pays de transition, la coopération décentralisée a repris, nous avons accueilli la conférence de Paris sur le financement du PNDES, nous avons annoncé ce que nous allons apporter en terme de financement de projets. Il y en a ceux qui sont en train d’être mis en œuvre, d’autres seront mis en œuvre d’ici la fin de l’année et d’autres plus tard. Je pense que la France reste le premier partenaire bilatéral du Burkina Faso.

Le PNDES est le nouveau référentiel  de développement du Burkina. Comment la France qui est le premier partenaire bilatéral comme vous le dites, accompagne ce programme?

Le PNDES est la feuille de route de tous les partenaires techniques et financiers.                   Le développement du Burkina est ficelé par le PNDES, par-ce-que c’est aux Burkinabè de décider de ce qu’ils attendent développer leur économie, et à sortir de la pauvreté. Donc, nous travaillons en permanence  avec les différentes administrations du Burkina pour mettre en œuvre le PNDES qui est une priorité.

Le front social au Burkina est sans cesse agité par des revendications tous azimuts  et des grèves de travailleurs au quotidien qui paralysent l’administration publique. Peut-on y avoir progrès et développement dans un tel contexte ?

C’est une évidence que quand les fonctionnaires grèvent ça bloque le fonctionnement de l’administration. Peut-être le résultat est une explosion de liberté des fonctionnaires Burkinabè. Je n’ai pas à commenter cela. Je ne peux pas expliquer pourquoi il y a autant de grèves dans le pays. Seulement ce n’est pas le meilleur moyen d’arriver au développement du Burkina.

L’ambassade de France au Burkina avait recommandé sur son site la prudence aux français dans les zones Nord et le Sahel burkinabè pour raison de sécurité. Est-ce que cela est toujours d’actualité?

Ce n’était pas une recommandation de l’ambassade de France, mais du ministère français des Affaires étrangères. La décision n’est pas prise par l’ambassade mais elle est prise en concertation entre l’ambassade, et différents services et ministères à Paris (ministère de l’Intérieur, ministère des Affaires étrangères, ministère de la Défense etc.).                       Nous faisons une évaluation de la situation  en fonction des risques et nous faisons des recommandations à nos compatriotes et des conseils aux voyageurs. Nous ne pouvons pas interdire à qui que ce soit de faire quoi que  ce soit. Nos recommandations sont très fortes et elles ne sont pas infondées. Au Burkina Faso, il y a eu  enlèvements de deux personnes il y a 18 mois et nous savons qu’elles sont vivantes, puisque la vidéo a été diffusée le samedi 01 juillet dernier les montrant vivantes. Ces personnes sont victimes de terrorisme, mais l’État français est victime aussi de ces enlèvements même quand il ne s’agit pas de citoyens français. Mais il y  eu une citoyenne française qui a été enlevée au Mali.                           Dans ce cas-là il peut y avoir une tentative de pression sur l’État français par les terroristes pour obtenir des rançons ou que sais-je. Donc, il est important que les français comprennent que quand ils vont dans des zones considérées comme dangereuses par  le ministère français des Affaires étrangères, c’est par ce qu’il y a des risques réels qui peuvent compromettre leur propre vie. Dans ce sens, nous échangeons nos analyses avec nos collègues Allemands, Américains sur la situation pour savoir s’il est souhaitable et raisonnable de modifier ou pas les conseils que nous donnons à nos compatriotes.

Monsieur l’ambassadeur à l’occasion de la fête du 14-Juillet 2017, quels sont vos vœux à l’endroit des français vivants au Burkina et au peuple burkinabè ?

Aux Français qui vivent au Burkina, je leur souhaite une bonne fête nationale. Je leur souhaite d’être heureux au Burkina Faso compte tenu de votre hospitalité qui est légendaire et de continuer à créer les liens qui sont nécessaires entre les deux pays. Les Français qui vivent au Burkina sont important dans les relations entre la France et le Burkina Faso.

Aux Burkinabè je leur souhaite de vivre longtemps encore en démocratie et de continuer eux même à être des burkinabè démocrates et de vivre en citoyens responsables.

Interview réalisée par :

Théodore ZOUNGRANA

E-mail: tzoungrana@yahoo.fr

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