Dr. Ablassé Ouédraogo, Président du parti le Faso Autrement


Économiste, ancien fonctionnaire international, ancien ministre des Affaires étrangères du Burkina, actuel président du parti politique « Le Faso Autrement » et président de la CODER, Ablassé Ouédraogo est un familier des coulisses de la finance internationale. Il donne son opinion sur la table ronde des bailleurs de fonds sur le PNDES. Qui a un coût de mise en œuvre estimé à 15.395,4 milliards de francs Cfa dont 63,8%, soient 9.825 milliards de francs Cfa doivent être financés en interne sur les ressources propres du Burkina Faso  et 36,2% soient un montant de 5.570 milliards de francs Cfa financés  par les partenaires et investisseurs étrangers.

La Conférence des partenaires du Burkina Faso pour le financement du Plan National de Développement Économique et Social (PNDES), tenue à Paris en France les 7 et 8 décembre 2016, a obtenu le montant agrégé des intentions de financement public et privé  de 18.000 milliards de francs Cfa (23 milliards d’Euros), soient 8.000 milliards de francs Cfa par la Conférence consacrée au secteur public  hors partenariat public-privé et 10.000 milliards de francs Cfa par le Forum des investisseurs.

Ces résultats paraissent fabuleux pour le Burkina Faso. Le Burkinabè, patriote et soucieux du développement de son pays que je suis, aurait voulu sauter de joie et exulter, mais l’économiste expert international des questions de développement et de financement du développement que je suis, ne peut qu’être perplexe et suggérer aux gouvernants, toutes raisons gardées, d’avoir le triomphe modeste et de modérer leur enthousiasme en faisant une communication discrète et de vérité, sans triomphalisme ni populisme à l’endroit des populations, pour éviter un retour de bâton très douloureux. Les raisons évidentes de ma retenue sont les suivantes :

  • En matière de développement, les opérations comme celle de la conférence de Paris ne sont que des essais qu’il faut transformer. C’est une triste réalité qui commande donc la prudence surtout dans le domaine de la mobilisation des ressources où l’élément déterminant demeure la confiance mutuelle entre le pays bénéficiaire et ses partenaires. Et les populations doivent savoir que le Président du Faso, SEM Roch Marc Christian KABORE et son gouvernement n’ont pas ramené des valises d’argent liquide de leur voyage de décembre 2016 à Paris. Ce ne sont que des intentions.
  • Des incertitudes planent encore sur la mobilisation concrète et effective des ressources financières mentionnées dans les intentions de financement exprimées par les partenaires qui ont des conditionnalités que le Gouvernement doit remplir telles que celles soulignées dans le communiqué final, et ainsi libellés :«Les défis majeurs  auxquels le Gouvernement devrait trouver des réponses appropriées, notamment la consolidation de la paix et la réconciliation nationale, la bonne gouvernance, l’État de droit, le renforcement des capacités de l’administration publique, l’amélioration du climat des affaires et le choix judicieux de projets structurants pouvant contribuer significativement à la réduction de la pauvreté ». D’ailleurs, et comme nous le savons tous, les bailleurs de fonds ne donnent pas leur argent par charité. Et une question nous rend dubitatifs sur la matérialisation des intentions de financement des partenaires : Sommes-nous vraiment sur la voie de la réconciliation nationale  au Burkina Faso? En cela, plus que des paroles et des intentions exprimées et répétées par les gouvernants au sommet de l’Etat, il faut des gestes et des actes concrets de réconciliation.
  • A ces contraintes imposées par les partenaires de l’extérieur, il convient de souligner que la situation actuelle du Burkina Faso est pleine d’incertitudes et caractérisée par une absence de confiance mutuelle entre les Burkinabè, de paix sociale, de stabilité politique et de sécurité, toutes choses qui, égales par ailleurs, ne créent pas un environnement attractif et favorable pour la  relance des investissements et de l’économie.
  • Au-delà de ces contingences qui sont une réalité qui se vit au quotidien, le Burkina Faso ne dispose pas des capacités d’absorption pour consommer tous les financements que l’on fait D’ailleurs, il est impossible pour notre pays de trouver les moyens requis dans les délais impartis  pour la mise en œuvre  en exécution du PNDES pour préparer et élaborer les documents de projets, négocier, signer et ratifier les accords et les conventions de financement y relatifs et utiliser efficacement et rationnellement tous les fonds faisant l’objet d’une intention de financement.
  • La structuration du financement du PNDES, qui demande au Burkina Faso d’en couvrir 63,8%, est irréaliste et irréalisable et plombera certainement l’exécution de nombreux projets dont la mise en place des fonds de contrepartie nationale posera problème, car le contexte interne actuel de notre pays ne le permet pas, à moins de vouloir continuer à jouer sur la corde du populisme et d’exceller dans la vraie démagogie. Les 10.000 milliards de Fcfa (63,8% du coût total du PNDES), demandés à notre pays au titre de la contrepartie dans le PNDES, sont au-delà de ses moyens, de ses capacités de production et même de ses potentialités.
  • Le PNDES couvre la période 2016 -2020 et à y regarder de très près, il y a le risque que des contraintes endogènes empêchent sa mise en œuvre:
  • 2016 se termine et rien n’a été enregistré dans l’exécution des projets du PNDES ;
  • 2017 ne bénéficiera pas de financements issus des résultats de la conférence de Paris, car les partenaires travaillent à partir de planifications et programmations anticipées et 2017 ne peut plus être pris en compte dans les programmes déjà ficelés ;
  • 2018 pourrait enregistrer les premiers financements de projets du PNDES à travers des accords et des conventions négociés, signés et ratifiés dans sa seconde moitié si la rigidité administrative est gérée avec souplesse et flexibilité ;
  • 2019 est une année pré-électorale et comme telle, les préoccupations et priorités des gouvernants seront beaucoup plus politiques que la mise en œuvre du PNDES ;
  • 2020 est l’année des élections législatives et du Président du Faso. Ce sera une année en roue libre pour l’exécution du PNDES.

Ce sont autant d’indices qui nous imposent d’avoir le triomphe modeste afin de ne pas déchanter plus tard.

  • Avec le renforcement de la démocratie dans notre pays, l’alternance à la tête de l’Etat est une possibilité. Et si cette hypothèse de l’alternance est effective et qu’une nouvelle équipe s’installe aux commandes de l’État, qu’adviendra-t-il du PNDES ? La disparition au profit d’un autre programme certainement ;
  • Si ce scénario plausible se matérialise, le PNDES ne connaîtra concrètement qu’une exécution partielle et certainement que notre pays vivra une période de décroissance sur la période 2016-2020. Sur la dernière décennie, notre pays a connu un taux de croissance  au dessus de 6%. En 2014 et 2015, le taux de croissance du Burkina Faso est tombé à 4%. Avec les incertitudes politiques, économiques, sociales et au plan de la sécurité actuelles, la croissance économique, sur le moyen terme voir sur la période couverte par le PNDES, dépassera difficilement les 5% alors que le taux de croissance annuel moyen escompté par le PNDES est de près de 8%. Le Burkina Faso aura tout simplement marqué ainsi un recul dans le processus de son développement économique et social.

Et nous demeurons convaincus que nous aurions dû faire autrement surtout que des voix s’élèvent aujourd’hui pour dire qu’on pouvait effectivement mobiliser les ressources internes si la réconciliation était effective. Travaillons donc tous à la réconciliation nationale, à l’unité nationale et à la cohésion sociale. Cela commence par le dialogue inclusif.

Ouagadougou, le 15 décembre 2016

Dr Ablassé OUEDRAOGO

Économiste Expert International sur les questions de développement

 

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